Dans un style humoristique qu’empruntera plus tard Francis Blanche, Guillaume Apollinaire déclara un jour que « l‘artillerie est l’art de mesurer les angles et l’équitation de bien serrer les sangles ». Au début de l’année 1915, l’écrivain est à Nîmes et s’initie aux finesses des angles de tir. Sur des notes conservées à la BnF on peut lire que « la hauteur d’éclatement H ne dépend que de l’angle de site et du correcteur ». Et le 21 janvier il déclarera à Lou sa future amante qu’il en a « plein le cul de toute leur géométrie algèbre cheval artillerie et le fourbi de reste ». Spécialiste de l’œuvre d’Apollinaire, Peter Read vient de publier un livre commentant quelque 150 fac-similés dont de nombreux inédits.
Lettres, nouvelles, croquis, calligrammes, l’opus co-édité par Textuel et la BnF en impose par la richesse des illustrations réunies. Peter Read, qui les décrypte, fait partie de cette poignée de personnalités hors-pair disposant d’une érudition redoutable sur leur sujet favori.
De là où il se trouve, détenant comme le Christ « le record du monde pour la hauteur« , Apollinaire lui-même doit en rester coi. L’ouvrage qui nous est proposé, également copieux par ses anecdotes et la précision apportée à chaque mise en contexte, est de surcroît très plaisant à lire. L’auteur a notamment puisé dans la « Correspondance générale » de l’écrivain publiée il y a peu en pas moins de cinq volumes par Victor Martin-Schmets (1), pour distribuer avec pertinence moult citations au fil des séquences ici rassemblées, au terme d’un travail de sélection probant.
On parcourt ce livre avec l’enthousiasme d’un enfant lâché dans un magasin de friandises tant il y a découvrir, s’amuser et comprendre, autour du génie d’Apollinaire. Et c’est tout le talent de Peter Read que de nous instruire avec la simplicité qui sied à toute entreprise pédagogique. A la longue, on se prendrait presque pour un initié et spécialiste aguerri du poète car il a l’amabilité de nous le faire croire.
Il en va par exemple du poème « L’Adieu », suffisamment court pour être cité ici :
« J’ai cueilli ce brin de bruyère/L’automne est morte, souviens-t-en,/Nous ne nous verrons plus sur terre/Odeur du temps, brin de bruyère/Et souviens-toi que je t’attends ».
Les amateurs apprécieront d’apprendre qu’il s’agit en fait d’une ablation de la sixième strophe d’un corpus plus long. Peter Read explique que neuf ans après l’écriture de « La Clef », Apollinaire en bon « alchimiste » qu’il était « en augmentera la charge sensorielle en y ajoutant une trace de parfum » après extraction, y introduira une répétition pour faire un effet de cycle et en supprimera enfin toute ponctuation. La version définitive paraîtra dans « Vers et Prose » en 1912 puis sans ponctuation dans « Alcools » en 1913. En savoir davantage sur ce qui se passe en cuisine ne change en rien à la magie créatrice du poème enfin figé. Les étapes de la fabrication du calligramme « La cravate et la montre » nous sont données avec un luxe de détails impossible à dépasser, y compris la signification secrète de sa composition.
Comme le prétendait avec justesse Apollinaire, Peter Read nous « émerveille » à son tour avec cette remarquable recension commentée. Sevrés que nous sommes de nouveautés, nous allons de gourmandises en gourmandises.
Au hasard, il y a cette formidable carte postale adressée à Picasso en 1905 dont les deux versants sont garnis de deux poèmes, « Crépuscule » et « Saltimbanques ».
Il ne faut pas non plus manquer cette photo fort peu courante d’Apollinaire, pipe à la bouche, dans la soute à munitions de sa batterie en 1915. Elle est précédée d’une citation qui provoque en nous ce scintillement mental propre à ce diffuseur de rêves qu’était le poète, prônant en l’occurrence : « Il est grand temps de rallumer les étoiles ». Toute affaire cessante, nous voilà mobilisés.
PHB
« Apollinaire/Lettres/calligrammes/manuscrits ». Peter Read. Co-édition Textuel/BnF. 55 euros
(1) La correspondance générale d’Apollinaire, de Victor Martin-Schmets, sur Les Soirées de Paris et commentée par Gérard Goutierre
Merci pour cette belle note de lecture qui donne envie de se précipiter sur de telles « friandises » avant Noël!
Le 21 janvier 1915, quand Apollinaire la lettre dont nous avons ici un savoureux extrait, Lou est son amante depuis quelques semaines.
Ah quel bonheur de retrouver ce brin de bruyère si cher à mes dix-huit ans!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Je n’ai pas encore l’avantage d’avoir en mains cette nouvelle publication certainement pleine de découvertes. J’aimerais cependant connaître le » luxe de détails impossible à dépasser, y compris la signification secrète de [l]a composition » de « La Cravate et la montre », car cela suppose de nouveaux documents qui s’ajoutent à ceux de « Calligrammes » dans tous ses états (Calliopées, 2008) pp. 94-95. Mais je suis toujours désireuse de m’instruire. Claude Debon