Par la fenêtre étroite du mobil-home, elle voyait la neige tomber mollement. Presque couchée sur la banquette, les mains jointes entre ses genoux, son beau regard bleu portait sur ce vieux paysage volcanique trempé des premiers jours d’hiver. Germaine n’attendait plus. Elle contemplait les saisons.
Elle avait acheté pour pas cher ce terrain autrefois occupé par une colonie de vacances. Elle y avait gagné trois toilettes en ligne, six lavabos et autant de douches. Mais il n’y avait que de l’eau froide dont elle usait sans courage particulier comme d’un anesthésiant. Un préau fermait le terrain au nord. Sur le mur auquel il était adossé, on pouvait lire de vieux graffiti.
Cet espace se situait à l’extrémité d’un village d’altitude presque abandonné. Le café avait fermé. L’été, en raison de la présence de quelques estivants, une camionnette-épicerie passait deux fois par semaine. Mais le reste du temps Germaine se voyait contrainte de descendre en voiture vers la ville la plus proche. Ce qui ne l’incommodait pas.
Ce qu’elle avait voulu, c’était de se retrouver en ciel et terre, loin des vallées, loin des sols, loin des villes. En raison d’un budget restreint elle s’était résignée à acquérir un mobil-home d’occasion mais de facture récente. A l’intérieur tout était à portée de main ou à trois pas. Le mobilier était neutre, fonctionnel, propre, moderne. Elle n’avait apporté aucune touche personnelle à l’ensemble à part ses affaires éparses, mais elle avait ôté les rideaux.
Quand il faisait beau elle se mettait sur une chaise longue. S’il faisait chaud mais qu’il pleuvait, elle installait la chaise sous le préau. S’il faisait beau et chaud, elle déployait un grand parasol orangé.
Germaine avait comme l’air éjectée du système solaire, comme déposée sur une planète d’emprunt ou une aire de repos astrale pour cosmonautes sans objectif. Elle ne faisait que fixer l’horizon, parfois distraite par le passage d’un oiseau. Un jour et selon toute apparence, un loup était passé. Il l’avait regardé avec curiosité comme un objet non identifié, ni dangereux, ni amical, ni comestible. Puis il s’était éclipsé sans bruit, face à l’indifférence polie qu’elle avait décidé d’opposer une bonne fois pour toute à tout événement attendu ou fortuit.
Mais ce jour-là c’était la neige qui tombait joliment sans fondre. Elle avait cerclé de ses flocons délicats le rond du vieux panneau de basket. Le toit du préau était déjà blanc quoique légèrement orangé par un soleil qui s’obstinait à filtrer. A l’intérieur de son habitat métallique, Germaine se sentait à l’aise grâce à deux convecteurs électriques qui dispensaient une douce chaleur. Néanmoins, elle enfila un long manteau, chaussa une paire de bottines bleues et sortit avec un verre de vin moelleux qu’elle posa sur la table en bois.
A midi, son bonhomme de neige avait déjà pris forme. Germaine manifestait une gaieté nouvelle à la mesure des verres apéritifs qu’elle ne remplissait pourtant qu’à moitié. Elle n’avait pas façonné son bonhomme avec les rondeurs traditionnelles qu’aiment les enfants. Elle l’avait voulu fin et droit, porté par son tronc et non par des jambes hélas impossibles à confectionner. Germaine avait coiffé la tête ovoïde d’un chapeau du type Stetson et avait ceint le visage d’une paire de lunettes de ski en plastique jaune qui tenaient par un élastique. Elle prit un peu de recul pour juger du résultat et dit d’une voix haute mais sans écho: « Bienvenue chez toi, Jim ». Au loin, depuis le bois de bouleaux en contrebas, sur son séant, le loup la regardait fasciné.
PHB