Hergé, bulle en tête

Pub pour l'exposition Hergé dans le métro. Photo: PHB/LSDPC’est certainement l’un des façonneurs du 9ème art les plus controversés que le Grand Palais accueille pour une exposition à l’honneur pendant plus de quatre mois. Mais ni encenseurs ni détracteurs ne se donnent rendez-vous pour ce moment consacré à celui qui fit le choix de s’effacer devant son patronyme pour laisser place à la clandestinité au travers de deux lettres dignes de ce que l’on appelle les affaires secrètes. Car de sa vie, Georges Prosper Remi ou Hergé en aura fait un secret, un voile, que beaucoup se complairont à lever le temps d’une interprétation ou d’un mot d’esprit.

Son intention derrière cela ? RG/GR l’a emportée avec lui. Alors oui, la tentation est grande d’aller débusquer ce qui définirait celui qui est devenu un personnage à lui tout seul, celui qui s’est vu heurté par la critique. C’est la tentation première, me semble-t-il, qui nous pousse lorsque ce n’est pas Tintin qui est mis en lumière, mais son créateur. Et pourtant, l’exposition réussit là où elle nous détourne de cette trajectoire indiscrète en ne redonnant, avec sobriété et brio, que ses lettres de noblesse à un artiste précurseur et inventeur de la ligne claire.

L’exposition s’initie par la Une de Libération annonçant la mort de Tintin : le message est clair, ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Et si le 20ème siècle s’est, pour une maigre part, défini par les Aventures réservées aux jeunes et moins jeunes de 7 à 77 ans, la création artistique s’est également vue émaillée d’autres compagnons ou encore de toiles ou affiches publicitaires réalisées par notre auteur. Autodidacte qui ne se cache pas, Hergé se dévoile ainsi sous nos yeux dans ses différentes facettes artistiques. Et les salles que présente le Grand Palais dans sa mise en lumière s’inscrivent dans une trajectoire non pas chronologique et temporelle mais artistique et donc intemporelle ; symbole d’un parti pris. On se laisse alors enseigner par un Hergé que sa passion a poussé très tôt à se prendre au jeu de l’imaginaire où le style avec son réalisme vivant et authentique de ses personnages a rapidement pris le pas sur le reste. Les planches exposées en témoignent et le papier n’en sort pas indemne. Car c’est l’exigence artistique qui semble avoir façonné et guidé ce dessinateur à la rigueur implacable, et l’on se délecte, de fait, de l’évolution des planches de leur ébauche à leur consécration. Mais l’on se prend aussi à côtoyer un Hergé plus taciturne, sans doute torturé d’un jeu de destin personnel, lorsqu’il s’essaie à la peinture qu’il contemple à ses heures de collectionneur. Là encore, ses qualités ne se montrent pas en reste, mais elles ne suffiront pas à l’éloigner de ce qui a fait son succès et sa satisfaction personnelle.

Indéniablement, Tintin, son héros, se rencontre dans son édifice le plus singulier et premier. Des premières esquisses à la matérialité de ce qui a façonné son univers, tout y est, sans oublier le point de vue lunaire et visionnaire d’Hergé avec la fameuse fusée rouge et blanche que ce dernier a voulu la plus réaliste possible. De l’esquisse aux coloris, en passant par la disposition des planches, on pénètre dans un univers aventureux qui dit son nom jusqu’au soin porté aux couvertures et premières pages, signe de la délicatesse adressée aux lecteurs qu’Hergé n’a jamais oubliés, même lorsque la seconde guerre l’a entravé un temps donné.

Photo: Célia Breton

Photo: Célia Breton

Nourri très tôt à la solitude cinématographique, Georges Remi s’est donc par la suite nourri des comparses qu’il faisait naître sur le papier. S’écartant de l’aphorisme de Flaubert « Madame Bovary, c’est moi » Tintin c’était lui, mais aussi bien ses acolytes puisés dans ses humeurs journalières. Alors, qui de Tintin ou Hergé a vu naître et mourir l’autre ? La question demeure. Cette rétrospective nous en donne les clés pour aussitôt les remettre à leur juste place, celle d’un créateur pris par moment au jeu de Mary Shelley mais qui luttera jusqu’au dernier rebondissement pour ne pas que sa créature ne s’aventure trop en avant et ne se délivre de son empreinte personnelle.

Et si l’icône d’Hergé s’est vue parcourir plus de cent dialectes au travers de deux cent trente millions d’albums vendus c’est à n’en pas douter d’une accroche universelle qui pourrait être celle de l’enfance, dans son insouciance et sa naïveté, mais peut-être aussi, et surtout, celle d’une ode à la liberté. Celle d’un homme et de ses personnages. D’une liberté qui rattrape tout un chacun dans des aventures toujours si singulières et extraordinaires, donnant ainsi à cette fable sa tonalité transgénérationnelle.

Célia Breton

Exposition au Grand-Palais, Paris, en collaboration avec le musée Hergé de Louvain-la-Neuve. Du 28 Sept. 2016 au 15 janv. 2017

 

N'hésitez pas à partager
Ce contenu a été publié dans BD, Exposition. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

3 réponses à Hergé, bulle en tête

  1. philippe person dit :

    Bravo Celia…
    juste une petite rectification (les ayant-droits d’Hergé m’en sauront gré) :
    ce n’est pas 3 millions d’exemplaires vendus… Mais 230 millions !!! C’est beaucoup ! Je dirai même plus… c’est beaucoup !!!

  2. C.Breton dit :

    Tonnerre de Brest! Merci pour cette rectification !

  3. Philippe Bonnet dit :

    Je vais corriger dès que possible. Merci. PHB

Les commentaires sont fermés.