Cent ans après sa mort, connaît-on encore Emile Verhaeren, dont les écoliers apprenaient jadis par cœur les poésies ? Il fut en son temps l’un des écrivains les plus admirés, les plus célébrés. Stefan Zweig lui consacra une biographie. Apollinaire lui dédicaça « Alcools » en se déclarant « son admirateur ». Paul Valéry prononça son éloge.
Mais que retient-on en 2016 de cet écrivain flamand de langue française, contemporain de Maeterlinck qui lui rafla le prix Nobel à quelques voix près ? Grâce à de nombreux tableaux ou photographies, on se souvient de son allure, de cette gigantesque moustache qu’il arborait fièrement, comme un cerf ses bois. On se souvient aussi de sa fin prématurée et tragique : après avoir donné une conférence à Rouen, le 27 novembre 1916, il chuta sur un quai de gare et fut écrasé par le train. Mais lit-on encore « Les Campagnes hallucinées », « Les Villes tentaculaires » ? Paradoxalement, cet oubli relatif s’accompagne de célébrations officielles de grande importance, donnant raison à Claudel qui estimait que Verhaeren était à cette station du purgatoire où on ne lit plus l’œuvre de l’écrivain, mais où on lui élève des statues.
En France, à Saint-Cloud, où le poète a résidé de 1900 à 1916, le musée des Avelines a présenté jusqu’en mars 2016 une exposition intitulée « Emile Verhaeren, poète et passeur d’art ». Une occasion de mettre l’accent sur les relations très proches qu’entretint Verhaeren avec les artistes de son temps (Ensor, Khnopff, Rodin) ainsi qu’avec les écrivains et poètes comme Stefan Zweig, Rainer Maria Rilke, ou Stéphane Mallarmé.
En Belgique même, pas moins de trois villes célèbrent le poète pour le centième anniversaire de sa disparition. A Saint-Amand, sa ville natale, à 20 kms d’Anvers, son musée propose « Un poète pour l’Europe ». Il est vrai que bien avant que l’on parle concrètement de la construction de l’Europe, l’écrivain belge mit toute son énergie à ce qui était à l’époque une belle utopie. Lui même parcourut un grand nombre de pays européens, allant jusqu’à donner des conférences en Russie en 1913. Et son œuvre fit l’objet de nombreuses traductions.
L’exposition qui vient de s’ouvrir au musée de Tournai, à une encablure de la France, permet de replacer le poète dans son environnement naturel, en célébrant notamment l’Escaut « puissant, compact, pâle et vermeil ». Sous le titre Des lueurs du fleuve à la lumière de la peinture, on retrouvera le panthéon des peintres proches ou admirés par le poète, parmi lesquels Manet, Emile Claus, et surtout James Ensor : « On dirait qu’Ensor écoute la couleur tellement il la développe comme une symphonie ». On reverra avec plaisir les portraits que fit Georges Tribout de l’écrivain dont le physique il est vrai ne pouvait que séduire tous les dessinateurs. A noter également les œuvres du peintre Théo Van Rysselberghe, dans la lignée de Paul Signac, qui était également un proche du poète belge. Une section est réservée à la femme de Verhaeren, Marthe, elle-même artiste peintre qui fut autant sa complice artistique que son épouse.
La ville de Gand célèbre également ce Flamand de langue française qui contribua au renom de la littérature belge et dont on explore ici les qualités de chroniqueur d’art et d’ardent défenseur du modernisme. Il est vrai que ce musée pouvait puiser dans ses réserves, puisque ses collections privilégient l’art de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, précisément l’époque de Verhaeren (1855-1916) : la moitié des œuvres réunies appartiennent au musée. Ici encore James Ensor tient le haut du pavé. On aura plaisir également à voir l’œuvre maîtresse du gantois Théo Van Rysselberghe : « La lecture chez Verhaeren », merveilleuse de vérité et de réalisme, montrant le poète chez lui, assis à son bureau, vêtu d’une très seyante veste rouge et déclamant ses textes de façon quelque peu théâtrale avec devant un groupe d’amis. On reconnaît notamment les écrivains André Gide, Maeterlinck et le critique d’art Félix Fénéon. Mais il serait erroné de ne voir en Verhaeren qu’un écrivain et penseur admiré de l’élite intellectuelle de son temps : d’autres pièces témoignent d’un poète débordant d’énergie, soucieux de mettre l’art à la portée de tous, et partisan d’un monde nouveau où les artistes et le peuple se rencontreraient pour partager « leur enthousiasme, leur simplicité, leur aversion, leur colère ». Cent ans après, il n’est pas sûr que l’espoir de Verhaeren ait été réalisé.
Gérard Goutierre
• Tournai (B), Musée des Beaux Arts, rue de l’enclos Saint Martin, tous les jours sauf le mardi. Jusqu’au 18 décembre.
• Gand (B), Musée des Beaux-Arts, Fernand Scribedreef 1, Citadelpark. Tous les jours sauf le lundi. Jusqu’au 15 janvier 2017.
• Sint Amands (B) Emile Verhaerenstraat 71, les week ends et jours de fête, 11 h-18 h. Jusqu’au 27 novembre.
Nouvelle découverte fort intéressante merci. S.
Eh oui j’ai un vague souvenir d’avoir récité ses poèmes autrefois, plus de souvenir de ses poèmes mais je me souviens très bien de son nom…oublié!