Il est toujours possible de chipoter ça et là, mais avec « Moi, Daniel Blake », Ken Loach a bien mérité sa palme d’or. A 80 ans, après avoir failli raccrocher les gants, il a finalement remis ça. Sa caméra nous met une fois de plus le nez sur ce qui ne va pas dans le « traitement » des gens pauvres et singulièrement en Angleterre. Comme toujours c’est âpre mais efficace, désespérant mais jamais mièvre.
Après s’être intéressé à la violence familiale, psychiatrique, celle des bandes, de la drogue, du couple, Ken Loach a pointé sa caméra sur la violence administrative, celle des « jobs centers » anglais dont la réputation de dureté en la matière n’est plus à faire. Daniel Blake y fait le grand plongeon. A 59 ans, sa cardiopathie devrait lui interdire de travailler. Mais comme il ne répond pas correctement à la société sous-traitante chargée de l’évaluer il n’a pas droit aux indemnités. Il cherche donc du travail pour survivre mais se heurte à l’inhumanité de l’administration des chômeurs toujours prête à sanctionner celui qui s’écarterait d’un millimètre du règlement.
Ses tribulations dans un espace administratif davantage fait pour l’exclusion que la bienveillance font qu’il rencontre Katie, une jeune femme accompagnée de ses deux enfants, elle aussi prise dans la nasse. Il la défend lorsque la « sécurité » est appelée pour l’évacuer. « Moi, Daniel Blake » est porté par cette relation qui se noue au pays de la précarité, contrée où il est tout à fait possible de se noyer comme un réfugié en perdition sur la Méditerranée.
Chez Loach il n’y a pas vraiment de suspense ni de ces petits trucs faciles qui édulcorent un film. Ses images sont comme taillées chez l’ébéniste, calibrées et tranchantes, ce qui fait que ses œuvres tiennent si bien sur leurs quatre pieds. Ainsi lorsque Katie se fait piquer au supermarché pour avoir dissimulé des produits d’hygiène dans son sac à main, c’est tout sauf du Visconti. Ken Loach filme la scène comme s’il était lui-même une caméra de surveillance douée de mobilité. Chez lui la fiction se fond dans la réalité et inversement.
« Moi, Daniel Blake » est a priori plus supportable que les précédents où le sang coule facilement, où les coups portés traversent directement l’écran. Si l’on remonte jusqu’à « Family Life », sorti en 1971, sa dernière réalisation est plus facile à digérer que la violence familiale et psychiatrique qu’il y décrivait de façon insupportable. Mais quand même, loin des quartiers chics de Kensington, la pauvreté anglaise est dure à avaler. Dans « Raining stones », l’un des protagonistes volait un mouton pour acheter une robe à sa fille avec le produit de la revente. Dans « Moi, Daniel Blake », Katie consent finalement à se prostituer pour sortir si l’on peut dire de l’indignité qui résulte de l’indigence. Et pourtant rien de larmoyant, les histoires de Ken Loach sont tout juste filtrées avec la tourbe qui fait les grands whiskys.
Le film dure une heure et trente neuf minutes. L’apparition du générique de fin nous surprend comme les voyeurs somnambules en immersion que nous sommes progressivement devenus. Un film à recommander à ceux qui théorisent et théoriseront depuis leur ministère confortable sur le « traitement » des chômeurs.
PHB
Bonjour Philippe,
Le Monde du 1-2 novembre titre « L’hostilité envers les pauvres s’exprime de plus en plus ouvertement en France », et se lit comme…un film de Ken Loach!
Très déprimant….
Je bois du petit lait ! Au moment de Cannes, la critique française en a voulu à George Miller, président du Jury, d’avoir préféré Moi Daniel Blake à Tony Erdman. Elle a rappelé que Miller était le père de Mad Max (comme si c’était une tare telle qu’il ne pouvait apprécier le cinéma d’auteur) et considéré que le film allemand de Maren Ade était « drôle » et décrivait la réalité du capitalisme d’aujourd’hui… Moi, je n’y ai surtout vu qu’un film de 2 h 47 barbant et justifiant in fine le néo-libéralisme après l’avoir gentiment égratigné…
Bref, si vous êtes Macron-Juppé, comme semblent l’être tous les français « raisonnables », vous aurez bien du mal à justifier le sort des Daniel Blake français… Heureusement que Ken Loach n’est pas français et ne décrit pas Pôle Emploi…
D’ailleurs, y-a-t-il eu jamais un « Ken Loach » français ? Quand Tavernier s’est hasardé au film social ( » Ça commence aujourd’hui »), il a été traité de démago…
Ne pas parler des pauvres, c’est la règle d’or et le CNC n’encourage pas le cinéma « social » et subventionne en priorité le cinéma générationnel ou communautaire. Et, finalement, c’est peut-être mieux que de stigmatiser les pauvres…
Un film qui met en colère, très en colère contre un système qui laisse l’humain sur le bord de la route. L’anonymat et la « robotisation » des agences sous-traitées est effrayante. Si on écoute les programmes des candidats à la primaire de droite, on se dirige directement vers le modèle anglais. Quant au programme (?) de gauche….
Pôle emploi n’en est pas encore là, mais il est complétement débordé et reflète le monde du travail : démerde toi!