Loin être une œuvre abstraite, l’image ci-contre représente un échantillon de sable argileux puisé à Versailles. Au Pavillon de l’Arsenal, il est même présenté comme une matière précieuse. Et pour cause car tout l’objet de cette manifestation est de nous démontrer que les terres excavées pour les besoins de différents chantiers pourraient se substituer au béton une fois transformées en briques de construction. Avec un impact écologique quatre fois moindre, ce qui en augmente encore l’intérêt.
Organisée avec l’agence d’architecture Joly&Loiret, l’exposition est en tout point enthousiasmante en ce qu’elle nous rappelle au premier chef que partout dans le monde et y compris en France des constructions en terre (torchis, pisé…) tiennent toujours debout, parfois plusieurs siècles après leur édification. « De la matière au matériau » est en ce sens, davantage une redécouverte qu’une invention.
Chaque année des millions de tonnes de terre sont extraites de différents types de chantiers allant du simple immeuble d’habitation aux infrastructures de transport, car pour édifier il faut d’abord commencer par faire un trou. Il nous est par exemple expliqué qu’il y aurait de quoi emplir 7000 piscines olympiques avec la terre extraite du projet « Grand-Paris-Express » mobilisant « 1,5 million de semi-remorques, soit 75 camions évacuant en moyenne 2000 tonnes par jour pendant quinze ans ». Sans préoccupation écologique ou « d’économie circulaire », ces terres sont évacuées vers des sites dédiés à leur entreposage, c’est à dire pratiquement vouées à l’oubli.
Reformulés, le sable de Saint-Ouen, la terre argileuse et la terre crayeuse blanche de Saint-Nom-la -Bretèche ou encore le sable argileux de Versailles, peuvent ainsi donner de jolies briques de construction tout à fait à même, dans certaines limites, de permettre l’édification d’un bâtiment de bureaux, d’une école, d’une usine. D’ici à 2030, on estime que plus de 400 millions de tonnes extraites en Ile de France pourraient être ainsi reconsidérées. Seulement 800.000 tonnes ont été revalorisées en 2010, mais ce chiffre devrait selon les prévisions, passer à deux millions en 2020 et cinq millions en 2026. Selon l’agence d’architecture qui a dirigé cette exposition, l’idée est pour résumer, de passer « du rebut à la ressource ». Et cette idée est d’autant meilleure nous précise-t-on, que les sites de stockage sont surchargés et la création de nouveaux espaces dédiés se heurte à l’hostilité grandissante des riverains (quand ils arrivent à se faire entendre bien sûr).
En dehors des considérations économiques ou écologiques, au-delà de la pédagogie, les organisateurs ont réussi une fort jolie scénographie. Les échantillons de terres et de sables, tangibles ou liquides, nous émeuvent par la simplicité esthétique de leur présentation, comme sur un étal d’épices. La matière des briques présentées est douce au regard comme au toucher. L’on s’attend à pénétrer dans le monde un peu rude du BTP et l’on se retrouve dans un univers finalement assez sensuel qui nous interpelle jusque dans nos origines. Ce qui fait que le visiteur ne regardera plus jamais un trou de chantier avec indifférence.
PHB
Je n’ai pas encore vu l’expo. Évoque t’elle le gypse et le plâtre, matériaux de prédilection en Île-de-France jusqu’à la fin du XIXe? Avec aujourd’hui toute une architecture de plâtre, fragile, et souvent en voie de disparition (en banlieue notamment).
Merci pour ce bel article. Il révèle ce que nous cherchons nous même à révéler, la puissance poétique de la matière naturelle au-delà de ses qualités écologiques.
Salutations,
Paul-Emmanuel Loiret