Pour célébrer ses 30 ans (30 ans seulement ?), le musée d’Orsay nous en met plein la vue avec son SPECTACULAIRE SECOND EMPIRE. Si bien qu’en sortant de l’exposition, on se demande si l’idée n’est pas de montrer l’analogie entre les fastes impériaux du dix-neuvième siècle et l’opulence contemporaine de ce musée qui nous semble avoir toujours fait partie du paysage parisien.
Bizarrement, on nous annonce que « les fastes de la fête impériale » ont longtemps « terni la réputation du Second Empire », mais on nous montre précisément ces fastes magnifiés par une muséographie flamboyant de rouge et d’opulence !
Certes, le Second Empire n’a jamais bénéficié d’une très bonne image depuis que Victor Hugo, après avoir traité Napoléon III de « Napoléon le Petit », est allé bouder sur son Aventin de Bruxelles puis de Jersey et Guernesey. Ce que l’on sait moins, c’est que cet exil dont il fit son image de marque aurait été motivé par le refus du prince-président de lui accorder un poste éminent…
Bien que les organisateurs de l’exposition nous assurent que ces fastes servaient à réconcilier le prince et son peuple, j’ai tendance à penser qu’ils ont fait de l’ombre aux avancées bien réelles qui parsemèrent le Second Empire et demeurent mal connues. Evidemment, un coup d’état est mauvais pour l’image : d’abord élu premier président de la république en 1848, le neveu de Napoléon Ier bascule vers l’empire par le coup d’état du 2 décembre 1851. Mais s’il muselle la presse, il rétablit le suffrage universel masculin.
Car ce « Napoléon le Petit », très inspiré par Londres où il avait séjourné, fit tout simplement entrer la capitale dans l’ère moderne. C’est à lui qu’on doit le visage actuel de Paris grâce au baron Haussmann, à lui qu’on doit d’avoir parsemé la ville de squares (comme Les Buttes-Chaumont ou le Parc Monceau) et d’arbres le long des grandes avenues grâce à Alphand, à lui qu’on doit d’avoir donné en gestion à la Ville de Paris les bois de Vincennes et de Boulogne afin de les réserver à la promenade des Parisiens (loi de 1852 toujours actuelle, rendant illégaux l’édification de la Fondation Vuitton récemment élevée dans le bois de Boulogne comme le projet d’extension de Roland-Garros sur les Serres d’Auteuil incluses dans le bois). Certes, on peut voir quelques photos et divers éléments dans l’exposition sur ces transformations, notamment l’édification de l’Opéra Garnier, mais ils sont plutôt mineurs.
Bref, un règne s’appuyant sur des gens comme Alphand, Haussmann, Garnier et Offenbach ne peut pas être tout à fait mauvais.
Bien sûr, on n’échappe pas, dans un coin de salle, à l’évocation (modeste) d’Offenbach (portrait, quelques affiches, bande-son) incarnation de l’époque, mais on passe un peu vite sur ce très grand musicien. Car cet émigré, ce juif allemand né à Cologne, envoyé se faire un nom à Paris par son père à l’âge de 14 ans, allait saisir dans ses opéras-bouffes (et non ses opérettes) l’essence même de la société moderne avec une virtuosité étourdissante. Et le souverain, assez bien ridiculisé notamment dans « Orphée aux Enfers », eut l’élégance de ne pas s’en offusquer. Peut-être a-t-il pressenti qu’Offenbach dépassait largement les contingences de son règne.
Revenons aux fastes de l’exposition, qui se déploient naturellement dans le domaine de la peinture et des arts décoratifs en tout genre. Un des sommets est l’extraordinaire berceau offert par la Ville de Paris (musée Carnavalet) pour le baptême du prince impérial en 1856, grandissime occasion pour le régime de se mettre en scène. Détail amusant : dès janvier 1853, nous dit-on, Napoléon III « annonce publiquement son mariage par une déclaration officielle qui rompt avec les usages anciens ». Sorte de communiqué AFP avant la lettre.
Le couple va également se mettre en scène de la façon la plus moderne. L’ancienne marquise de Moya, comtesse de Montijo, sut mettre à profit sa silhouette de belle femme élancée pour devenir un mannequin impérial mettant en valeur la mode française d’avant-garde (comme l’a fait Michelle Obama aux Etats-Unis), et de nombreux tableaux de bourgeoises new look peints par Tissot illustrent cette tendance. La belle Eugénie sut aussi soutenir l’industrie du luxe (ah ces vases de Sèvres !), ou encourager la nouvelle vague des lieux de villégiature, Cabourg, Deauville, Arcachon, ou Biarritz, où Napoléon lui fit construire le (toujours) somptueux hôtel du Palais.
Evidemment, comme le proclame l’exposition sur tous les tons, ce dernier règne impérial, courant de 1852 à 1871, fut en réalité celui de l’aristocratie jeune et cosmopolite s’encanaillant auprès du demi-monde (voir Zola notamment) et de la bourgeoisie triomphante. La prospérité du régime s’offre à l’admiration des foules européennes lors des expositions universelles (elles aussi inventées par l’Angleterre) de 1855 et 1867 :
le clou de cette spectaculaire exposition d’Orsay étant cette immense salle où sont rassemblés quantité d’œuvres présentées lors de ces grands showrooms, dont deux grandes vitrines de somptueux bijoux (signés Mellerio dits Meller depuis 1613), meubles tarabiscotés, gigantesques vases de Sèvres plus beaux les uns que les autres, porcelaine exquise, miroirs, argenterie, statues, le tout éclairé au centre, à en perdre la vue, par un bénitier géant en forme de croix réalisé tel un chandelier par la cristallerie lyonnaise.
Nous sommes effectivement en pleine société du spectacle et au début de la société de consommation. Ne pas oublier de regarder dans cette salle le fauteuil façonné par l’ébéniste viennois Thonet, pionnier de la fabrication en série, toujours d’actualité.
Et bien sûr, puisque nous sommes à Orsay, nous avons droit à une débauche de grands tableaux et de grands peintres. Dans une grande salle rectangulaire, telle un salon de peinture idéal, on nous donne à voir, sur le mur du fond, dans toute sa splendeur, « La famille Bellelli », du nom de la tante maternelle de Degas, portraiturée avec son mari le comte et leurs deux filles, tableau révolutionnaire par sa taille, par sa composition, par l’attitude de chaque personnage muré dans sa solitude. A sa gauche, les tout aussi fameux « Le Balcon » et le jeune « Emile Zola » par Manet, et en face, un opulent Courbet moins connu, le philosophe Proudhon et ses enfants.
De nombreux Tissot nous montrent des élégantes à la mode lancée par l’impératrice, dont l’imposante « Madame Moitessier » par Ingres, servant d’affiche à l’exposition.
Ne pas oublier de saluer en passant, devant le tableau de Tissot « Le Cercle de la rue Royale », debout, à droite, haut de forme et canne à la main, Charles Haas le désinvolte, immortalisé par Proust en Swann dans « La Recherche ».
Ensuite, un peu plus loin, nous attendent notamment le toujours incroyable « Déjeuner sur l’herbe » de Manet, et un totalement moderne portrait de la Princesse Pauline de Metternich, grande amie du couple impérial, par Degas.
Lise Bloch-Morhange
Exposition SPECTACULAIRE SECOND EMPIRE, Musée d’Orsay, du 27 septembre 2016 au 15 janvier 2017.
Lise, ce n’est pas gentil d’insinuer que Victor Hugo s’est brouillé avec le nouveau tyran pour un plat de lentilles…
En punition, vous me relirez les « Châtiments »…
Cette réhabilitation définitive du Second Empire à une époque où la République se porte si mal ne me rassure en rien…
L’affirmation que Hugo se serait vu refuser un poste éminent par le futur Napoléon III sent le révisionnisme à plein nez et je serais intéressé de connaître les sources.
18 ans d’exil … une « bouderie » ???
Hugo a été condamné à l’exil par un pouvoir dont la répression s’est exercée de façon particulièrement violente sur près de 30 000 opposants condamnés à des peines d’emprisonnement et de travaux forcés en Guyane et Algérie.
Je ne crois pas qu’il s’agisse de « révisionnisme », et me méfie des généralisations. Ayant fait des recherches sur cette période à une époque, il m’a semblé qu’elle était plus nuancée qu’on ne le dit, sans plus. C’est ainsi que j’avais appris que Victor Hugo s’était exilé par dépit, mais je ne me souviens plus de mes sources.
Merci pour votre réponse…qui me laisse, vous le comprendrez, sur ma faim…
Sous la signature d’Arnaud Laster de la Société des amis de Victor Hugo à laquelle j’ai demandé quelques éclaircissements, le communiqué suivant paraît cette semaine dans la lettre d’information de l’association:
« Les calomnies ont la vie dure ! Paule d’Héria nous signale avoir été alertée par un de ses amis, Jacques Ibanès, au sujet d’un article, signé Lise Bloch-Morhange, d’une revue culturelle en ligne Les Soirées de Paris, paru le 29 septembre et rendant compte de l’exposition actuelle du Musée d’Orsay, intitulée Spectaculaire Second Empire. On pouvait y lire ceci : « Certes, le Second Empire n’a jamais bénéficié d’une très bonne image depuis que Victor Hugo, après avoir traité Napoléon III de “Napoléon le Petit ”, est allé bouder sur son Aventin de Bruxelles puis de Jersey et Guernesey. Ce que l’on sait moins, c’est que cet exil dont il fit son image de marque aurait été motivé par le refus du prince-président de lui accorder un poste éminent… » Répétons une fois de plus que, contrairement à ce qu’insinue l’auteure de cet article, l’exil de Hugo, assimilé par elle à une bouderie et à une manœuvre publicitaire, n’a pas été volontaire mais officiellement décrété. C’est Louis-Napoléon Bonaparte, non encore Napoléon III, que Hugo a traité de « Napoléon le Petit ». Enfin, personne n’a jamais pu apporter le moindre début de preuve que Hugo ait sollicité ou même seulement espéré un poste qui lui aurait été refusé. Cette calomnie qu’ont fait courir les partisans du futur empereur était déjà connue de Hugo! «
Monsieur Ibanès,
Veuillez noter que j’ai mis ma phrase au conditionnel:
» Ce que l’on sait moins, c’est que cet exil dont il fit son image de marque aurait été motivé par le refus du prince-président de lui accorder un poste éminent… ».
Les Amis de Victor Hugo affirment que ce serait une calomnie, mais il n’existe de preuve, j’imagine, ni dans un sens ni dans l’autre.
Les grands hommes sont comme nous tous les petits des gens complexes, et je ne pense pas qu’il y ait matière à polémiquer.
LBM
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Désolé. Je déteste la polémique, mais j’estime que lorsque l’on donne une information même conditionnelle, on doit être en mesure de citer ses sources (question de déontologie). Sinon, on peut proférer n’importe quelle allégation sur n’importe quel sujet, ce qui est le cas ici. Personnellement, je refuse de baisser les bras devant ce qui est à l’évidence selon les spécialistes de l’écrivain,une calomnie.