Finalement la jeune fille accepte d’ôter son voile. L’infirmière a en effet besoin de l’épingle qui maintient l’étoffe en place pour suturer la plaie d’un manifestant. Entre Egyptiens d’obédiences différentes, un mince fil de solidarité se tisse. La scène se passe à l’intérieur d’un fourgon cellulaire de l’armée égyptienne. « Clash » raconte cet enfermement oppressant qui se transpose par contamination dans la salle de cinéma.
L’histoire se passe en 2013, deux après le début de la révolution égyptienne qui vit successivement la destitution du président Moubarak, l’élection d’un Frère Musulman à la tête du pays et le renversement de ce dernier par l’armée. La ville du Caire est en plein chaos, les habitants se déchirent tandis que les militaires tentent de reprendre le contrôle sans prendre de gants.
Pour réaliser son film sorti le 14 septembre, Mohamed Diab a casé l’équipe de tournage dans le fourgon cellulaire. Un peu comme dans « Lebanon » où toute l’action se situe à l’intérieur d’un char israélien, le réalisateur de « Clash » force l’empathie des spectateurs, contraints de bout en bout à la claustration dans une succession de plans forcément très rapprochés.
Cela débute par deux journalistes jetés dans le camion métallique avec ses fenêtres grillagées. Les militaires coffrent tous ceux qui passent à proximité. Si bien que petit à petit, le fourgon se remplit de toutes les catégories de belligérants, les pro-laïcité, les pro-militaires, les Frères Musulmans et au moins un chrétien. Il y a surtout des hommes dont un drôlement casqué d’un panier à salade, mais aussi deux femmes et un enfant. Comme les prisons sont pleines, on l’apprendra plus tard, le fourgon erre sans destination précise. Il est difficile de ne pas se laisser se saisir par l’angoisse de ce que peut être une rafle et le sentiment d’inquiétude qui va de pair avec un sort forcément indéterminé.
On le comprend, toute l’intrigue est basée sur cette cohabitation forcée entre gens d’un même pays que séparent des convictions diamétralement opposées. Les engueulades sont violentes, la situation est toujours sur le point de dégénérer. Tout se complique quand il faut soigner quelques blessures. L’une des deux femmes est infirmière et lorsqu’elle se propose de soigner l’un des Frères Musulmans, celui-ci refuse dans un premier temps de se laisser toucher par une femme. Avec un peu de ruse et un peu de concession des deux bords elle y arrive pourtant. Le temps passe péniblement dans ce fourgon transformé en chaudron d’humanité exaspérée. Il faut composer et quand ce n’est pas le cas, l’armée fait donner le canon à eau. Les voilà traités comme des bêtes sauf que l’armée dehors c’est aussi des Egyptiens et qu’à deux moments, un militaire donne une bouteille pleine d’eau pour boire et une vide pour uriner. Quand c’est une femme appartenant à aux Frères Musulmans qui a besoin de soulager, tout le monde arrive à se mettre d’accord pour tourner le dos afin de lui éviter une humiliation.
Des balles de fusil qui viennent percer la carrosserie, des pierres lancées par toute une foule qui cabossent le métal: la peur viscérale de la mort se substitue souvent au calme très relatif du huis-clos. La nuit du Caire est en outre striée des éclats verts des stylos lasers. Les rayons fluo des pointeurs pénètrent le fourgon ajoutant au bazar ambiant un genre d’apocalypse lumineuse très bien rendue, du moins l’imagine-t-on si l’on n’a pas connu soi-même les joies de la guerre civile.
« Clash » n’est en rien un robinet d’eau tiède et ce n’est certes pas le bon film à voir en famille avec l’esquimau glacé ou le carton de pop-corn. Mais il nous donne à penser sur ce qui arrive lorsqu’un pays bascule et, la chance que l’on a finalement de retrouver à la sortie, une place Gambetta où tout le monde profite encore des dernières douceurs de l’été. A un jet de pierre ou de laser du MK2.
PHB