Impensable il n’y a pas si longtemps, le Festival d’Automne démarre en grande pompe cette année à La Courneuve. Oui, oui, la ville que Sarkozy voulait nettoyer au karcher en 2005… Cette commune de Seine Saint-Denis longtemps synonyme de HLM explosifs (les 4000) méritait de toutes façons mieux que cette image réductrice. Si Jean-Luc Godard le premier s’y était intéressé, dès 1966 il en avait fait le décor de « Deux ou trois choses que je sais d’elle », la ville, située en deuxième couronne, ne figurait pas au top des itinéraires culturels (Fête de l’Huma mise à part). Par ailleurs, les amateurs de patrimoine industriel connaissaient ses superbes friches, dont certaines implantées en plein centre ville, à côté de la mairie.
La Courneuve, qui fait partie de l’EPT, établissement public territorial, Plaine Commune, est une de ces villes où l’effet Grand Paris se fait le plus sentir. Métamorphose n’est pas un trop grand mot pour certains quartiers, en particulier celui de la gare, autrefois no man’s land enclavé entre l’autoroute A 86 (parallèle aux rails du RER) et les usines. L’implantation des Archives des Affaires étrangères a été le signal de la requalification du quartier toujours borné par les anciennes usines Babcock et Wilcox (photo ci-dessus). En activité jusqu’en 2012, ces dernières doivent le bon état des bâtiments conservés à la présence permanente de l’entreprise depuis 1898. Ce site de fabrication de chaudières industrielles a couvert jusqu’à 18 ha et employait près de 2000 salariés dans les années 1950. De fait sa place dans l’histoire de La Courneuve est puissante. Ses quatre derniers maires « viennent de Babcock ».
C’est donc une des raisons qui ont présidé à la recherche de projets de développement et de sauvegarde du site. Les autres étant, à la fois la qualité du patrimoine bâti et les ambitions de Plaine Commune, Territoire de la Culture et de la Création au sein du Grand Paris. Mais aussi de redorer l’image d’un département que l’histoire récente et en particulier celle des attentats islamistes ont encore ternie. C’est du reste cette dernière qui est mise en avant lors de la présentation du projet à la presse où s’étaient déplacés trois élus, Gilles Poux maire de la commune, Stéphane Troussel président du Conseil général et adjoint à La Courneuve et Patrick Braouezec, président de Plaine Commune. Ces trois représentants des « gauches diverses », entouraient Hortense Archambault directrice de la MC93 depuis 2015. Une MC93 en travaux et dont les spectacles se déroulent hors les murs pour la deuxième année.
Un projet artistique pour redonner vie à ces vastes nefs de béton, dont un ensemble étonnant de neuf halles voûtées et accolées? Les plus grandes font 135 m de long, sont hautes d’environ 20m avec éclairage zénithal. Si l’idée germait, c’est, curieusement pour des élus d’un territoire au passé industriel prégnant, de Marseille que la bonne idée est venue. Et plus exactement de la Friche de la Belle de Mai, l’ancienne manufacture des tabacs devenue pôle artistique et culturel de renom. Convaincus par cette réussite, ils ont ramené dans leurs valises les architectes de l’agence Caractère Spécial (Patrice Lextrait et Mathieu Poitevin) pour transformer l’essai.
Convertir une des halles en salle de spectacle provisoire, l’idée a immédiatement séduit Hortense Archambault qui n’a eu aucun mal à convaincre Frank Castorf d’y monter son tonitruant « Frères Karamazov », qui ouvre la saison, ainsi que Johan Le Guillerm et Boris Charmatz qui suivront*. Au-delà de l’effet de mode, on les comprend. Espaces et volumes immenses créent une atmosphère unique qui évoque bien les cathédrales du XX(I)e siècle chères à Malraux, par ailleurs père des Maisons de la Culture. La boucle est bouclée. Il n’y a plus qu’à faire venir les spectateurs dans ces lieux réputés dangereux. En fait, le RER est à 500 m et des navettes font la liaison avec Paris. On a souvent fait le procès injuste à la MC93 de travailler pour un public parisien, confondant exigence et élitisme et en ignorant le travail fait auprès de la population locale et en particulier des jeunes. Mais c’est vrai, les spectateurs sortent aussi du petit Paris pour aller au théâtre dans le Grand. Et cette année les fidèles du Festival d’Automne découvriront d’autres territoires, malmenés par l’histoire mais illuminés pour quelques soirs.
Passés les trois spectacles, le travail de développement du site continue. Ambitieux, le projet prévoit un nouveau quartier multifonctionnel de rayonnement métropolitain, construit selon deux axes principaux, la mémoire du lieu et l’innovation culturelle. Le premier bâtiment à sortir de terre est le centre fiduciaire de la Banque de France, sur la partie nord du site, contre l’A86. D’ores et déjà un blockhaus assez peu joyeux… Mais, côté théâtre, le public est au rendez-vous et on ne peut qu’encourager les ambitions de quelques élus qui souhaitent ouvrir en grand leur territoire plutôt que de l’enfoncer dans une stigmatisation hasardeuse. A suivre !
Marie-Françoise Laborde
*Saison nomade de la MC93. A Babcock :
– Les Frères Karamazov, de Frank Castorf. Du 7 au 14 sept (relâches les 9 et 12). Ouverture du Festival d’Automne
– Secret de la Cie Cirque ici – Johan Le Guillerm. Du 24/09 au 01/10 (relâches les 26 et 29)
– Danse de nuit de Boris Charmatz. 7-9/10. Dans le cadre du Festival d’Automne
Pour les amateurs de patrimoine industriel, à voir de l’autre coté des rails, en centre ville : les anciennes usines Jonhson-Aciéries de Champagnole (rue Jules Ferry), occupées par les services municipaux et Mecano, qui abrite désormais une médiathèque et un pôle administratif.