« Divines » sous le regard de la lune

L'affiche de "Divines"En salles ou à haute dose sur France Info il était impossible ces derniers temps d’échapper à la bande-annonce de « Divines », le film de Uda Benyamina primé Caméra d’or à la Quinzaine des réalisateurs. La promo est singulièrement trompeuse en laissant croire à un festival de trouvailles drolatiques issues des langages des quartiers. Le festival est bien là mais il s’agit d’un vrai film dramatique. Le titre est également spécieux. On voit bien la motivation tendant à qualifier les deux actrices principales (Oulaya Amamra, Déborah Lukumuena), mais là aussi l’épithète est un peu décalé.

L’embarquement pour « Divines » se fait sans trop de préliminaires et le spectateur entre assez vite dans le vif du sujet. C’est l’histoire de deux copines d’une banlieue difficile. Pour voler au supermarché, elles empruntent la tenue islamique traditionnelle qui leur permet de dissimuler les larcins qu’elles revendent sur le trottoir. Parce que le rendement de leurs expéditions est faible, elles s’acoquinent avec une jeune femme qui tient le marché de la dope, Rebecca, interprétée par la formidable et très crédible Jisca Kalvanda. Les trois ont une maxime de guerre selon laquelle « quand tu visualises la thune, elle vient à toi ». Aux côtés de Rebecca, elles se lancent donc dans le trafic de shit.

Ce qu’elles font n’est pas bien. Et quand l’une qui fréquente la mosquée fait remarquer qu’incidemment la lune c’est Dieu qui les regarde, l’autre lui répond en haussant les épaules: « genre il a que ça à foutre ». C’est le type de bonnes répliques qui provoque des petits rires en salle et qui laisse croire que ça va continuer sur le même mode. Erreur. « Divines » n’est pas un film pour soirée digestive sur la télé publique. Il s’agit d’une histoire violente où Oulaya Amamra, dans le rôle de Dounia, se fait durement tabasser par un client puis par un autre qui se dispose, sans toutefois réussir, à la violer.

C’est assez malin de la part de la réalisatrice de nous tromper ainsi avec un départ façon bonne comédie française. Les scènes de violence sont en effet suffisamment réalistes pour nous crisper dans l’affliction. « Tu as voulu voir ce qui pouvait se passer au pied des barres HLM, je vais te montrer un échantillon» semble nous dire Uda Benyamina, l’auteur de « Divines ». Délinquance, violence, sexe, pathos, la réalisatrice appuie fort sur le piston de la seringue avec cependant quelques pauses aménagées ici et là pour rigoler, c’est tout à fait prévenant de sa part.

Déborah Lukumuena et Oulaya Amamra, image extraite du film

Déborah Lukumuena et Oulaya Amamra

L’histoire s’enrichit en outre d’une relation amoureuse qui s’esquisse entre Dounia et un jeune danseur agent de sécurité le jour. Cet élément nutritif supplémentaire n’était pas forcément indispensable et c’est l’aspect le moins crédible du film, lequel malgré tout, reste fort de bout en bout. Compte tenu du scénario, « Divines » prend aussi le risque d’offrir une image de la banlieue assez réductrice mais c’eût été également le cas avec une histoire gorgées de bonnes intentions « multiculturelles » et « solidaires ».

Uda Benyamina a peaufiné son coup. Là où d’autres auraient, pour faire vrai, assaisonné l’histoire d’un fond musical puisé aux sources du rap, elle a au contraire été chercher des éléments du répertoire classique, assez bien vus pour cette symphonie de malheur. Car encore une fois, l’on y part avec une présomption de « feelgood -movie » pour se scratcher au final sur le bitume, comme flambés à l’essence des suites d’une virée en scooter volé. Vu de Cannes, ça méritait un prix.

PHB

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Une réponse à « Divines » sous le regard de la lune

  1. Marie F. Laborde dit :

    Un beau film et un bel exercice « scorcesien » et féminin. Effectivement très noir, malgré des dialogues très drôles. Plus sombre que le très beau Bande de filles de Céline Sciama l’an dernier et bien sûr que la comédie loufoque Tout ce qui brille. U. Benyamina nous montre la misère pire que la misère, celle des bidonvilles au pied des barres. Et raccord avec l’actualité, la violence des femmes. Un tabou qui commence à exploser. Effectivement, excellentes actrices touchantes et crédibles tout le temps dans tous les registres. Et la plus grande part de clichés féminins (douceur, tendresse…) chez un garçon, celui qui séduit le furie Douria… Un premier film gonflé et percutant et sans doute assez personnel.

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