Bonne nouvelle pour les amateurs de palaces, ils peuvent désormais dormir dans le 11e arrondissement. Jusque là, seuls l’ouest et le centre de Paris, pouvaient les accueillir. Une façon de cultiver l’entre-soi, d’être au plus près des boutiques très chics, etc. Mais les faubourgs autrefois infréquentables n’existent plus que dans la légende. Difficile de s’encanailler dans Paris, pour le grand frisson mieux vaut passer le Périph.
L’ancien faubourg Saint-Antoine, celui des ouvriers du bois, a disparu depuis bien longtemps, pour devenir le quartier branché que l’on connaît.
Boutiques tendances, cafés et restos pris d’assaut par une clientèle plutôt jeune et à l’aise. Celle là même que les tueurs du 13 novembre ont choisi de frapper mais en attaquant le quartier sur ses marges, à l’angle des rues de Charonne et Faidherbe et boulevard Voltaire.
Or, il manquait encore le vrai luxe, celui qui coûte très cher, et Sofitel y a remédié. Dans cette même rue Faidherbe que la « branchitude » a gagné plus tardivement et qui a gardé un peu de tranquillité, le groupe a installé un hôtel Cinq étoiles de sa gamme MGallery. L’hôtel Paris Bastille Boutet, tout en gardant « Bastille » quand même, a pris le nom d’une ancienne menuiserie dont il n’occupe pas vraiment les lieux. En effet, pour être plus précis, il s’abrite derrière la façade, car c’est à peu près tout ce qui reste du bâtiment construit par l’architecte Achille Champy en 1926. Mais quelle façade !
Annonçant les fonctions du bâtiment et la raison sociale de l’entreprise elle possède un décor de mosaïque et de céramique polychrome dont le raffinement lui a valu d’être protégée au titre des monuments historiques. La partie industrielle était à l’arrière, masquée par la façade sur rue qui clamait la modernité et la prospérité de l’entreprise (structure en béton armé apparente et mosaïques). Colorée et lumineuse, elle tranche sur ses voisins, de sages immeubles post-haussmanniens en pierre. Entre la menuiserie et l’hôtel, les lieux ont abrité une chocolaterie, la Suisse Normande à partir de 1944, puis des bureaux.
Les MGallery by Sofitel ne sont pas les premiers palaces venus. Le catalogue présente « une luxueuse Collection (sic) de lieux inspirés », chaque hôtel étant présenté comme un bijou précieux. Mais, passé l’exaspération provoquée par le vocabulaire choisi « fascinant, magique, Mémorable Moment… » force est de constater que la plupart sont des joyaux architecturaux. Anciens hôtels réhabilités ou lieux insolites les MGallery couvrent toutes les époques et tous les continents. Le luxe s’installe là où on ne l’attendait pas, comme un ancien siège de journal à Amsterdam ou une verrerie à Murano. A Paris, le groupe a notamment jeté son dévolu sur une piscine, et pas n’importe laquelle, la célèbre piscine Molitor. Si la transformation de l’ancien site industriel en hôtel de luxe n’a pas fait de vagues, l’endroit a toujours été privé et plutôt discret, celle de ce lieu mythique parisien et chef d’œuvre art déco a eu plus de retentissement. Egalement classés MH, les anciens bassins nautiques municipaux sont aujourd’hui réservés à ceux qui peuvent payer le prix fort, la chambre d’hôtel où l’admission au club.
On peut s’interroger sur cette démarche qui consiste à s’emparer des lieux populaires, édifices ou quartiers, pour les transposer à l’autre bout de l’échelle sociale et ainsi déposséder ceux qui les faisaient vivre auparavant. La gentryfication progressive des anciens faubourgs de Paris puis des communes de proche banlieue relève du même processus, tout aussi violent, car s’il ne répond pas à des écarts sociaux aussi importants, il implique l’éloignement des plus pauvres toujours plus loin du centre.
La fascination des classes laborieuses et des classes dangereuses par la bourgeoisie n’est pas nouvelle. Dans son livre Les nuits parisiennes (Seuil. 2015) Antoine de Baecque rappelle que l’expression « tournée des grands ducs » est née avec « le tourisme malfamé de certains dignitaires tsaristes en goguette à Paris au temps d’Alexandre III… curieux des enfers de la Capitale… ». On n’en est pas là bien sûr, Casque d’Or habite à La Courneuve et pas besoin d’invoquer Lénine pour faire le ménage dans le tourisme. Et puis reconnaissons le, quand les pauvres s’emparent du patrimoine des riches, ça fait autrement mal….
Le but de Sofitel était de s’implanter dans un quartier à la mode et dépourvu d’hôtels de ce standing. Pour attirer une clientèle, plus farouche que les aristos des siècles précédents, elle pratique des prix « bas », à partir de 195 Euros, la chambre « au cœur du quartier authentique de Bastille et proche du Marais….dans le lieu chargé d’histoire qu’est la maison Boutet… ». Encadré par une bibliothèque municipale et une école, les devants du palace sont calmes, pas de ballet de limousines ou de taxis. Le bar est vide et, ouvert sur le hall, carrément triste (4 € le café sans chocolat ni verre d’eau mais face la télé allumée). La greffe prendra t’elle ? Pour l’instant la présence de l’hôtel passe inaperçue, seules les mosaïques continuent à attirer les regards. Centré sur son spa, il est fort probable qu’il offre plus d’artificialité que d’authenticité. Mauvais timing, les touristes étrangers sont ils prêts à s’installer à deux pas de la Belle Equipe (20 morts)? Et puis pourquoi ne pas assumer le luxe en lui-même plutôt que de l’enrober dans un fatras d’authenticité et d’histoire frelatées ? Les riches le sont de plus en plus mais ils sont de moins en moins nombreux, ce qui n’est pas une raison pour être timides.
Marie-Françoise Laborde
Hôtel Paris Bastille Boutet
22 rue Faidherbe
La « privatisation » de la piscine Molitor, lieu de mémoire parisien, est un scandale dont la mairie de Paris porte l’entière responsabilité.
Au lieu des anciens tarifs municipaux, il vous en coûtera désormais 180 euros pour faire trempette dans les bassins, le couvert et le découvert.
Très chic, non?