Résidence sous pression dans les Wetherspoons

Dans un Whetherspoons. Photo: Agnès VilletteDes Wetherspoons, il y en a partout en Angleterre. Plus de 900 pubs de la même chaîne couvrent le territoire de sa majesté. Leur principal avantage : on y boit pas cher. Le prix de la pinte défie toute concurrence et le large choix des bières varie d’un mois à l’autre en fonction de ce que la chaîne peut récupérer de pas cher, en terme de fins de fûts : il n’y a pas de miracles… Au-delà de l’avantage pécuniaire, mais aussi grâce à lui, on croise au Wetherspoon des gens de tous horizons, bref un terrain d’observation idéal pour une curieuse comme moi, une curieuse des autres et d’une culture insulaire qui n’en finit pas de me fasciner. (Photo ci-contre: E.Blanchet)


L’alcool délie les langues et rend la solitude de certains habitués moins insupportable et plus partageable grâce aux histoires que les gens se racontent, aux remarques, aux commentaires qu’ils font à propos d’un fait divers, d’un événement d’actualité. Il n’y a qu’au pub que de tels moments d’échanges peuvent se produire et particulièrement dans les Wetherspoons, des établissements aux antipodes des pubs branchouilles où tout le monde se ressemble et partage le même avis sur tout.

C’est donc de Wetherspoon en Wetherspoon qu’Agnès et moi avons décidé de créer notre propre résidence artistique – et éthylique -, une “résidence sous pression” mais sans pression, où l’on photographie ou s’immisce dans les conversations que si on en a envie, selon nos humeurs, celles des autres clients et l’atmosphère de l’endroit.
L’idée a germé au White Swan d’Islington. Point stratégique, géographique et pas cher de debriefing après nos reportages intenses et extrêmes en Serbie pendant l’été 2015. Pendant que nous décompressions pour nous réadapter à nos vies, d’autres bribes de vie se déroulaient autour de nous. Pourquoi ne pas les raconter ? Avec des mots, des images et quelques coups dans le nez… L’été 2016 est, entre autres, celui des chroniques de Wetherspoons.

Résidence Sous Pression / The Coronet

Photo: Elisabeth Blanchet

Au Coronet. Photo: Elisabeth Blanchet

Les filles d’Arsenal ont gagné. Une femme d’une cinquantaine d’années brandit un drapeau du club de foot. Le ton est donné. On est à deux pas du stade d’Arsenal, au Coronet, un ancien cinéma art-déco transformé en Wetherspoon.
C’est un samedi après-midi de mai. Dehors, il fait beau, ce qui rend le contraste avec l’intérieur sombre et lugubre encore plus fort. Agnès, ma comparse de Wetherspoon et moi, nous dirigeons vers une sorte de rotonde, en plein milieu du pub, un endroit surélevé, idéal pour observer ceux qui nous entourent.Ils ont des habitudes. Ils viennent en couples ou seuls. Quand ils partent fumer dehors, ils placent leur sous-bock sur leur bière pour signifier à tout serveur zélé qu’ils n’en ont pas fini avec leur pinte. Les clients communiquent peu entre eux. Pire, ils ont l’air de s’ennuyer à mourir. On sent la routine, une routine des pintes du samedi après-midi avant de rentrer chez soi pour continuer devant la télé.

Il règne au Coronet comme une atmosphère lourde, une tristesse, un condensé de solitudes qui se côtoient et qui se noient dans une multitude de pintes au rabais. Seul lien entre les gens : les journaux que l’on vient lire, les mots croisés qu’on vient faire avant que les esprits ne deviennent trop alcoolisés. C’est avec la table des buveurs les plus animés que nous commençons à échanger. Visiblement, et qui plus est avec nos gros appareils photos qui trônent au milieu des pintes, nous ne sommes pas des habituées. Le plus téméraire de nos voisins, tente une incursion dans nos conversations. Il réussit à s’accaparer l’attention d’Agnès.

Photo: E. Blanchet

Au Coronet. Photo: E. Blanchet

Il lui parle de Hongrie, de cours d’anglais donnés à des Gitans en Hongrie, de dents qu’il aimerait se faire refaire en Espagne… Je ne perçois que quelques bribes de conversation. Je suis trop occupée à observer ce qui se passe autour de nous, certains visages figés par la boisson et la torpeur, quand tout à coup, j’en reconnais un. Un type aux cheveux gris attachés en catogan. Il porte un sac à dos, une pinte dans une main, un journal dans l’autre. Il ne me voit pas et moi, je ne le remets pas tout de suite.

J’interromps Agnès pour lui dire que je connais un type qui vient de s’asseoir là, en contrebas. La mémoire me revient, c’est un type que j’avais rencontré sur un site de rencontres. Il m’avait donné rendez-vous là un ou deux ans auparavant. A la première rencontre, il m’avait semblé plutôt fin, cultivé et intéressant. Il n’y avait pas la petite étincelle mais j’y étais retournée une deuxième fois, toujours au Coronet. Et là, je me suis retrouvée face à face avec un névrosé, agressif, avec lequel la conversation tourna vite au vinaigre à cause de divergences politiques. Il m’avait même insultée en partant. Dingue. Je raconte toute l’affaire à Agnès, une affaire que j’avais complètement oubliée. D’ailleurs, impossible de me rappeler le nom du monsieur. Je cherche, en vain ! Ce n’est pas la peine, Agnès le surnomme déjà Louis XVI. Elle lui imagine tout un tas de petites bébêtes dans sa chevelure grise et statique. Avec son teint blafard d’homme qui ne prend pas l’air, elle voit juste : Louis XVI au Wetherspoon de Holloway Road… On rigole, on se moque et on se cache quand il reprend – souvent – le chemin du bar, de peur qu’il me remette. Mais ses gestes mécaniques lui donnent des oeillères. Son champ de vision se limite à ses actions : boire, lire, aller au bar, aller pisser et rebelote. Et nous, on rigole. Car ce sont aussi ça les histoires de Wetherspoons : des situations incongrues, des fantômes aux allures de Louis XVI, des parties de rigolades…

Résidence sous pression / The Rochester Castle

A l'intérieur d'un wetherspoons. Photo: Agnès Villette

The Rochester Castle. Photo: Agnès Villette

Ce Wetherspoon là n’était pas si facile à identifier. Nous y étions allées déjà un soir Agnès et moi faire des repérages. Pub tout en longueur avec trois types de salles. La première pour ceux qui ne sont pas forcément des habitués. La deuxième pour ceux qui veulent plus d’intimité et, au bout, une véranda couverte, plus adaptée aux groupes. Pourtant peu convaincues par notre première nuit au Rochester Castle, sur Stoke Newington High Street, nous y sommes retournées en commençant par nous installer dans la véranda. Un groupe d’étudiants fêtait quelque chose ou tout simplement trainait un jeudi soir. Tous habillés 70’s, coupes de cheveux comprises, ils semblaient déconnectés de tout, du temps, de la mode et de ceux qui les entouraient.

C’est alors qu’un type, la bonne cinquantaine, avec un regard bleu perçant et pervers s’est installé dans un coin de la salle, stratégiquement pour bénéficier d’une vue idéale qui lui permettait de mater les filles aux mini-jupes et pantalons moulants.  Son regard nous est vite devenu insupportable, il nous faisait même froid dans le dos. Nous nous sommes rabattues sur la pièce du milieu où une table d’érudits locaux nous a vite proposé de les rejoindre.

Et là, avec Dylan, Jeff et deux autres grands habitués du Rochester Castle, des conversations intellectuelles endiablées se sont mises en branle : art et Facteur Cheval, musique et Erik Satie, littérature et Blaise Cendrars. Alcool aidant, nous nous trouvions plein d’atomes crochus jusqu’au jusqu’à ce que la vilaine cloche militaire qui sonne le glas de la fermeture imminente du pub nous ramène à la réalité de nos vies, au choix de rentrer chez soi et de ne pas céder à la tentation des verres de trop chez untel et des lendemains qui déchantent.

Elisabeth Blanchet

Ces textes ont d’abord été publiés sur le site accidental photographer sur lequel on peut voir plus de photos d’Elisabeth Blanchet et de Agnès Villette en plus grand format sur les Wetherspoons.

Photo: Agnès Villette

The Rochester Castle. Photo: Agnès Villette

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2 réponses à Résidence sous pression dans les Wetherspoons

  1. Steven dit :

    Excellent! S.

  2. pascal aubert dit :

    Jolie « pinture » de la culture alcoolophile populaire anglaise. Et dans des lieux qui étaient « off limits » pour les femmes il n’y a pas si longtemps, il faut se le rappeler. Mais remplacez la bière par du vin rouge ou du pastis, est-ce que ça ne rappelle pas l’atmosphère de maints estaminets bien de chez nous?

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