La porte Marcel Lelong, soit l’entrée numéro 6 destinée aux urgences pédiatriques et plus spécifiquement la réanimation, a été murée. Les urgences de l’hôpital Saint-Vincent de Paul dans le quatorzième arrondissement ont été fermées en 2010 comme toutes les activités médicales depuis. Le site de 3,5 hectares est aujourd’hui occupé par des associations qui y déclinent en un joyeux bazar toute la liturgie utopique en vogue. L’endroit est désormais défini comme un « espace-temps de cohabitation et d’interaction entre des publics diversifiés, propice à la promenade, au bien-être, à la rencontre et à l’apprentissage pour tous ». C’est tout dire.
L’ancien hôpital est ouvert aux passants. L’ambiance bienveillante est assez surprenante. La moyenne d’âge est assez basse. On rencontre beaucoup de gens qui devisent autour d’un verre, se restaurent, chinent dès l’entrée ou campent dans un quartier réservé aux tentes. L’endroit compte un poulailler, une unité de compostage des déchets, des ateliers divers. Il y avait cet après-midi-là une sono qui diffusait du Jimi Hendrix dans une atmosphère très bon enfant ou flottaient quelques effluves de Woodstock et relents de joints en combustion discrète. Les grands bâtiments eux, sont semble-t-il affectés à l’hébergement d’urgence. La différence entre cette population d’origine apparemment migrante et la jeunesse qui vient ici prendre le frais est très marquée. Il y a comme une frontière invisible entre eux mais elle est bien perceptible entre ceux qui viennent cultiver l’insouciance festive et ceux qui s’inquiètent légitimement de leur avenir. 600 personnes vivraient là de façon plus ou moins permanente dont 250 en hébergement. Quant aux traces d’activité médicale, elles se diluent jusqu’à se dématérialiser dans les motivations d’une autre époque.
Paris a perdu beaucoup de ses hôpitaux au détriment de la médecine de proximité. Dans ce même quartier de Saint-Vincent-de-Paul, celui du Val de Grâce va voir également ses activités s’arrêter. La ville a aussi perdu l’hôpital Bretonneau, Herold, Saint-Michel, Boucicaut, Laennec. L’Hôtel Dieu a été dépouillé, l’hôpital Laennec est devenu un îlot de luxe immobilier. Au-delà de la technocratie, c’est également la faute aux normes et ce qui va juste après, « la mise aux normes », toujours trop chère quand on cherche l’alibi.
Les autorités compétentes expliquent régulièrement que les activités de ces vieilleries historiques sont ou seront regroupées dans de vastes structures très modernes comme Pompidou ou Cochin, pour plus d’efficacité. Que l’on peut s’y faire opérer trois fois de suite sur trois plateaux différents dans la même journée. Quand on les interroge pourtant, certains médecins sont moins optimistes. Quand ils étaient encore en activité, ces hôpitaux filtraient en effet les admissions selon leur degré d’urgence. Moyennant quoi les services d’urgence sont aujourd’hui passablement saturés et la patience du public est mise à rude épreuve.
Visiter Saint-Vincent-de-Paul aujourd’hui revient à marcher sur les décombres d’un service de santé dont la réputation se faisait connaître bien au-delà de nos frontières. La jeune foule décontractée qui se promène dans les allées désormais vides de blouses blanches peut difficilement imaginer ce passé brillant. Une femme évoque néanmoins avec quelle célérité et quelle efficacité son fils avait été, un jour de panique, pris en charge. Jusqu’à mille personnes passeraient là tous les jours en touristes selon le site de l’association Les Grands Voisins qui gère l’occupation provisoire. En changeant de registre, l’urgence est à se distraire entre personnes aimables avec l’hébergement des gens dans le besoin en guise de back-up moral, c’est l’époque qui veut ça.
PHB
Hôpital Saint-Vincent-de-Paul 82 avenue Denfert-Rochereau. Entrée libre.
Association des Grands-Voisins
Plutôt ahurissant! Que va devenir ce lieu ? Pourquoi supprime-t-on les hôpitaux de proximité « au nom de la mise aux normes », comme dit si bien Philippe?
Que de questions…sans réponses….