Tout autour de Paris, généralement entre les boulevards des Maréchaux et le périphérique, existent des espaces sportifs où vient qui veut s’entretenir, jouer au foot, au tennis ou tout simplement se promener. Encore à l’abri des ravages de la nouvelle normalisation urbaine, il y fait bon vivre, sans aucune espèce de pression. C’est le cas du Centre Sportif Léo Lagrange, à la Porte de Charenton. Mais peut-être plus pour longtemps.
Le charme de cet espace Léo Lagrange est notamment dû à sa belle architecture années trente, cette cohérence urbanistique que l’on n’a jamais su répéter depuis. Avant même d’y pénétrer cependant, on est séduit par le quartier avec ses si vastes perspectives alors que les rues parisiennes donnent davantage l’impression de vivre au fond d’un canyon. Ici le ciel est omniprésent.
Ici encore, l’atmosphère est bienveillante. On passe le porche où un groupe d’enfants profite de l’ombre alors que le soleil est trop haut. Toute une jeunesse s’amuse sur plusieurs hectares. Elle y trouve des terrains de foot, de tennis, de basket, des pistes d’athlétisme. Certains discutent entre amis sur de vieilles marches d’escaliers en ciment. Plus loin d’autres générations jouent aux boules et une affiche y vante les « Apéros de la pétanque ». Au stade Léo Lagrange, on vit « ensemble » depuis longtemps. L’idée générale du Front populaire y perdure et même elle s’y épanouit toujours et sans propagande. Ce qui est bon signe. Le piéton de passage s’y sent le bienvenu sans croiser aucun regard hostile, sans se sentir étranger de par sa tenue, son âge ou quoique ce soit.
Mais voilà que ce ce bel endroit est en danger. Car la mairie veut y implanter toute une barre de logements et divers bâtiments qui mangeraient, selon les associations du lieu, 60% de la surface actuelle. Inscrite dans un beaucoup plus vaste plan urbanistique, l’opération emprunte au langage clair-obscur qui sert à emballer les projets municipaux. Il s’agirait de « renforcer les continuités douces » (l’inverse d’une discontinuité brutale?) et, plus particulièrement en ce qui concerne le Centre Sportif Léo Lagrange, de « requalifier les espaces sportifs », ce qui peut se traduire en l’occurrence par « faire de la place ».
L’idéal serait que les gens soient contents tout le temps. Mais justement Léo Lagrange avait sa petite idée là-dessus. Selon l’ancien ministre et député socialiste (mort d’un éclat d’obus en 1940): « … il ne peut s’agir dans un pays démocratique de caporaliser les distractions et les plaisirs des masses populaires et de transformer la joie habilement distribuée en moyen de ne pas penser. » Bizarre comme cette réflexion sonne toujours juste bien que les motivations consistant à faire diversion varient d’une époque à l’autre.
Les riverains de Paris ou de Charenton se mobilisent actuellement pour sauver cet endroit où l’on pratique la mixité sociale depuis bien longtemps et sans s’encombrer du catéchisme lassant qui va avec. Une pétition assez explicite (1) et ouverte à tous est d’ailleurs lancée sur le sujet.
Et cela peut marcher. Les riverains, usagers, sympathisants et certains élus qui se sont unis par le passé, ont réussi à sauver des espaces aussi différents que le Square Sainte-Perrine (16e arrondissement) ou tout récemment le Stade Championnet (18e arrondissement). Le jardin des Serres d’Auteuil est quant à lui toujours en sursis mais dans ce cas précis il s’agit d’y construire un stade et non des logements. Dans tous les cas, il suffit à la mairie de déployer « les éléments de langage » appropriés pour habiller une captation en cadeau merveilleux pour tout le monde. A noter qu’il y a du progrès puisque on l’a dit, dans le cas du stade Championnet, les « gens » ont semble-t-il été -exceptionnellement-écoutés.
Quand la mairie de Paris s’occupe de revaloriser ou d’humaniser des secteurs sinistrés comme l’était par exemple le nord-est de la capitale, de rendre vivable la Porte des Lilas ou dans une moindre mesure de pacifier la Place de la République, globalement tout le monde approuve. Dès lors qu’elle va à l’encontre manifeste des riverains ou des usagers en s’appuyant ou non sur des « concertations » pour le moins sujettes à caution et attelées à une sorte de propagande heureuse que l’on est prié d’avaler tout cru, rien ne va plus.
PHB
(1) La pétition
NB: Selon l’AFP, la pétition pour que l’on ne remplace pas les kiosques parisiens actuels, a réuni 41.000 signatures. Comme pour le jardin des Serres d’Auteuil, le chiffre obtenu est déjà bien supérieur à ce qu’obtient généralement la mairie avec ses propres initiatives « démocratiques ». Vilain peuple, toutes sensibilités politiques confondues, qui s’exprime sans autorisation à l’encontre de la doxa en vigueur.
J’adore les mots de la mairie de Paris…renforcer les continuités douces…requalifier les espaces sportifs. On a eu droit aux espaces apaisés… mais hélas pour la Mairie de Paris les mots ne font pas la démocratie.
Je pense que les gens commencent à comprendre la vraie mentalité qui se cache derrière la communication « cui-cui les petits oiseaux » comme dit ma voisine. S.
Schizophrénie municipale à l’état pur !
Les mêmes qui prétendent vouloir accueillir les JO (sans consulter les parisiens non plus) veulent dans le même temps préempter la plupart des stades parisiens… parce qu’ils représentent des surfaces constructibles facilement et à bas coût !
Voilà un joli texte qui dit fort bien les choses. Quand on est pris dans un tel naufrage naufrage et qu’on s’aperçoit que le capitaine ne dirigeait pas le bateau dans la direction prévue à l’origine, quand on a compris les étapes de la progression masquée de la municipalité, il ne reste qu’à avertir « regardez, regardez comment ils s’y sont pris! Tout sera rasé si on ne réagit pas ! » 500 mètres à l’ouest du Centre sportif Léo Lagrange il y a deux immenses espaces sous utilisés. La mairie le sait mais a confiance : le conditionnement des masses est tellement puissant que personne ne réagit. Le cas du stade servira d’exemple. Oseront-ils vraiment le raser avant 2017 ?