Comme toute grande ville de province, Lille possède ses monuments érigés à la mémoire des personnalités qui y sont nées, comme le général de Gaulle dont la maison natale est devenue un musée, ou Alexandre Desrousseaux, auteur du populaire « P’tit Quinquin . Mais la ville est peut-être la seule en France à avoir conçu un monument à la gloire du… pigeon. Pas n’importe lequel : le pigeon voyageur, dont le rôle pendant les conflits militaires, notamment en 1914, a été important. Utilisé pour la transmission d’informations, permettant l’échange de correspondances ou même des missions d’espionnage, le pigeon voyageur a parfois modifié le cours d’une bataille.
Son existence était redoutée par les Allemands, au point que ces derniers, dès 1914, demandèrent aux “coulonneux“ (de “coulon“, pigeon en patois) de remettre aux autorités militaires leurs pigeons domestiques. Les contrevenants pouvaient être fusillés. L’usage de ces volatiles en période de guerre ne fut pas anecdotique : à l’armistice, en 1918, on dénombrait 30.000 pigeons militaires et 350 colombiers mobiles !
C’est en 1936 que la Fédération nationale des sociétés colombophiles érigea, à l’entrée du parc de la Citadelle de Lille, cet imposant monument de pierre représentant une femme idéale, personnification de la Paix, entourée d’une nuée d’oiseaux, et écrasant le serpent, incarnation du mal, en l’occurrence l’ennemi. Le monuments est dédié « aux 20.000 pigeons tués ou perdus au combat » ainsi qu’aux colombophiles fusillés par l’ennemi pour avoir retenu des pigeons voyageurs.
Certains de ces volatiles eurent une conduite héroïque et ont laissé des souvenirs marquants. C’est le cas de « Cher Ami » qui, en octobre 1918 permit le sauvetage de près de 200 hommes lors de la bataille de l’Argonne, et aussi de « Le Vaillant » dernier combattant ailé du fort de Vaux, qui , le 4 juin 1916, transporta l’ultime message du commandant Raynal « C’est mon dernier pigeon..Il y a urgence à nous dégager ». Epuisé par les gaz, Le Vaillant regagna son pigeonnier et ne mourra que quelques années plus tard. Il fut cité à l’ordre de la Nation. Au Fort de Vaux, une plaque commémorative rappelle cet exploit.
La Belgique partageant avec la nord de la France une forte tradition colombophile, on ne sera pas surpris d’apprendre que c’est à Bruxelles que fut construit le tout premier monument, quelques années avant celui de Lille. En 1931, on inaugura dans le quartier sainte-Catherine, près de la fontaine Anspach le monument à la gloire du « pigeon soldat ». En bronze, la statue est celle d’une femme (« la Patrie ») tenant dans sa main droite un oiseau prêt à s’envoler. A Charleroi, à une cinquantaine de kilomètres au sud est de Bruxelles, une colonne témoigne également de la reconnaissance des humains pour le pigeon soldat.
On peut en sourire, mais ce n’est que justice. Bien avant l’arrivée de l’informatique, le pigeon transportait les messages aussi bien que les SMS, et jouait le rôle que jouent aujourd’hui les drones. Et le volatile n’a jamais eu besoin de GPS pour parvenir à sa destination.
Gérard Goutierre
Vive les courageux coulons et coulonneux!
On se demande quel est l’auteur de la statue de Lille….
Quelle belle idée que ce papier. Jeune journaliste à Nord Matin, j’avais écrit quelques articles sur les coulonneux du coin. On emmène les pigeons mâles à plusieurs centaines de kilomètres de la femelle. Je me rappelle le regard ému de l’un d’entre eux quand il me présenta son champion, je regardai ce pigeon qui fut longtemps célèbre dans la communauté colombophile du Nord. Le corps déformé par l’âge, guère plus de plumes qu’un pigeon sur l’étalage d’un marché, il coulait une retraite paisible.
Cela dit les pigeons savaient faire tourner bourrique leur propriétaire ! De retour, ils ne se précipitaient pas forcément chez la dame pigeonne pour la quelle ils revenaient. Perchés sur un arbre ou sur le toit, ils savaient attendre ironique le coulonneux et son échelle, car ce qui importe pour l’un, faire enregistrer le numéro du pigeon par l’horloge de la compétition, n’est pas forcement priorité pour l’autre.