Avant tout le monde y était heureux. Il y avait des bals, de belles aires de jeux pour les enfants, des soins faciles, de la nourriture saine. Et « qu’est-ce que c’était bien avant » disait cette paysanne biélorusse dans un documentaire publié il y a seize ans sur la catastrophe nucléaire de Tchernobyl. En avril 1986, date d’un désastre aujourd’hui trentenaire, la Biélorussie a été touchée par des radiations d’intensité plus ou moins forte, de même que la Russie et bien sûr l’Ukraine où se trouvait la centrale, dans la ville de Pripiat.
Autour de cette ville fantôme, sur plusieurs dizaines de kilomètres carrés, le séjour est interdit. Cette « zone » dévastée, calcinée par un mal invisible, fait le titre d’un récit publié chez Arthaud et rédigé par le journaliste ukrainien Markiyan Kamysh. Depuis 2010, il s’y aventure en douce, fasciné ce lieu en marge de tout et supposé mortifère.
Dans le documentaire « Tchernobyl » réalisé par David Desramé et Dominique Maestrali en l’an 2000, un habitant proche de la centrale revenu malgré tout chez lui, disait qu’il ne savait plus qui croire car certains, se plaignait-il en substance, disaient que c’était toujours dangereux, d’autres que c’était devenu tolérable. Un autre rétorquait que si les autorités les avaient laissés revenir c’est qu’on pourrait mieux les observer tels des « souris de laboratoire ».
Markiyan Kamysh lui s’en fout et le clame haut et fort. L’attrait de la zone est lui chez magnétique. Quand il ne s’y saoule pas ou n’y consomme pas de drogues, il n’hésite pas à boire de l’eau aux sources contaminées pour se désaltérer. Il y a fait de multiples incursions soit 200 jours en tout. Il se présente comme un fou dégénéré qui n’hésite pas à y emmener sa petite amie. Il y croise des touristes qui vont et viennent mais lui couche là-bas. Il étend son sac de couchage dans les appartements abandonnés, parfois jonchés de la dépouille d’un loup. Il s’y sent « en paix ».
Ce fils de liquidateur (des kamikazes étant intervenus dans les jours qui ont suivi l’explosion du réacteur numéro quatre) dit qu’il est, comme d’autres marginaux, une sorte de « clochard de l’apocalypse ». Il emprunte les marchroutka (bus collectifs) pour se rendre aux abords de la zone.
« La Zone » est un livre court, qui ne nécessite pas plus d’une demi-journée de lecture. La quête de l’auteur-acteur est assez fascinante. Ce qu’il vient chercher là n’est pas tout à fait clair mais l’attirance qu’il éprouve semble irrésistible. Il en parle un peu comme un espace de jeu vidéo, lequel existe d’ailleurs pour de vrai. On y croise des flics, des militaires, quelques habitants rebelles, des touristes bien encadrés et des solitaires comme lui qui s’épanouissent étrangement au milieu des ruines empoisonnées.
Son récit nous interpelle. On imagine mieux, dans cette France suréquipée de réacteurs nucléaires, une catastrophe qui viderait de toute activité humaine l’ensemble d’un département, le transformant en zone de non-droit et par voie de conséquence en espace sauvage ou règnerait une liberté purifiée des contraintes de la civilisation organisée. Là se trouve sans doute le ressort des expéditions de l’auteur.
PHB
« La Zone », Markiyan Karmysh. 166 pages. Arthaud. 16 euros.
en complément, revoir le chef d’oeuvre d’Andréi Tarkovski, « Stalker »…. Tiré d’un roman de SF soviétique, lui aussi à lire, des frères Strougatski… Je suppose que Kamysh l’a vu et lu…
Le « Stalker » est un homme qui va dans la « zone »… où il s’est passé quelque chose de grave… explosion nucléaire, arrivée d’extra-terrestres… On ne saura jamais… Toujours est-il que le génie de Tarkovski en a fait une oeuvre majeure… un de ces dix films dont on se souvient parfaitement même si on en voit deux par jour depuis une trentaine d’années…
Ping : Le bonheur par contamination | Маркіян Камиш
On comprend l’attirance, rien qu’à la couleur de la bande annonce de l’ouvrage, orange magnétique…