Matisse a dit à son propos qu’il devait être « le passage entre la tradition et l’impressionnisme ». De fait, les historiens d’art retiennent de lui qu’il fut un précurseur, un aquarelliste de talent et un peintre non moins doué qui influença de grands artistes de Delacroix, qui fut son contemporain, jusqu’à Monet. Son nom ? William Turner, sujet britannique né en 1775 dans une famille modeste de Londres (son père était barbier). Peintre autodidacte et coloriste réputé, William Turner fait l’objet d’une rétrospective sur le thème de la couleur, précisément, organisée par l’Hôtel de Caumont Centre d’art d’Aix-en-Provence avec la Turner Contemporary de Margate (Royaume-Uni). (Ci-contre : « Autoportrait », vers 1798, Tate Gallery. © Tate, London 2000)
Elle se tient à Aix jusqu’au 18 septembre, puis à Margate à partir de début d’octobre.
L’exposition est chronologique (elle présente l’artiste de ses débuts d’apprenti peintre au couronnement de sa carrière au tournant du siècle, jusqu’à sa mort en 1851) et « géographique » (par l’évocation de ses nombreux voyages en Europe qui rythmèrent ses recherches sur la couleur). On ne manque pas d’y rappeler la controverse qui a accompagné Turner toute sa vie à propos de l’usage qu’il faisait des pigments. Le peintre n’attendait jamais de savoir si les nouveaux pigments qui apparaissaient sur le marché étaient utilisables en peinture et les testait lui-même. Ses détracteurs lui ont reproché de trop faire usage du jaune de chrome (apparu en Angleterre en 1810) et du bleu de cobalt (découvert en France en 1802 et qu’il fut le premier à utiliser en Angleterre). On moquait aussi la tonalité trop crue, voire artificielle, de ses verts.
Précisons que Turner était un peintre de paysage (ayant reçu une formation de topographe) qui n’hésitait pas à peindre un bâtiment rouge vermillon surplombant une mer bleu-vert vif, transcendant avant Monet la réalité par la couleur. Pour éclaircir sa palette et retrouver la fraîcheur de l’aquarelle dans ses peintures à l’huile, il préparait ses toiles avec une sous-couche de blanc, pendant que la plupart de ses contemporains continuaient à utiliser une sous-couche sombre. On le taxa ainsi de « peintre du blanc ».
Turner a appris seul le dessin et l’aquarelle. Dès son adolescence, il est remarqué pour son bon coup de patte en dessin par des graveurs et architectes de son époque qui l’embauchent comme apprenti. Il exécute pour les architectes de nombreux dessins de bâtiments, apprenant ainsi les règles de la perspective (ce qui lui permettra de devenir plus tard professeur de perspective à la Royal Academy of Arts). Chez les graveurs il étudie la couleur. Ce n’est que lorsqu’il décide de devenir pleinement artiste et intègre la Royal Academy, qu’il commence à copier les maîtres chez des collectionneurs ou dans les musées. Il les copie pour apprendre, mais aussi comme point de départ à sa propre recherche plastique, appliquant à la lettre les conseils de son professeur : « Étudiez donc les œuvres des grands maîtres pour toujours (…) Considérez-les à la fois comme modèles à imiter et comme rivaux à combattre« .
En 1802, le traité d’Amiens scelle une période de paix entre la Grande Bretagne et la France, en guerre depuis neuf ans. Il permet à Turner de voyager dans l’Hexagone. Pour la première fois il visite Paris, découvre le Salon et le Louvre, inauguré en 1793. C’est à cette occasion qu’il contemple 19 toiles de Nicolas Poussin et s’attarde sur l’une d’elle en particulier : « Les Quatre saisons, l’Hiver ou le Déluge » (1660-1664). Trois ans plus tard, Turner donne son interprétation du « Déluge » dans laquelle il reprend le thème biblique, mais le traite à sa façon : sa toile est plus grande que celle de Poussin, sa scène plus dramatique, ses couleurs plus vives. Cette toile lui offre l’occasion de déclarer que Poussin (qu’il admire par ailleurs et étudie au même titre que Titien, Rembrandt, Lorrain ou Canaletto) a fait dans son « Déluge » un usage « incohérent » de la couleur. Les deux « Déluges » (l’original pour Turner mais une photographie pour Poussin) son présentés en regard l’un de l’autre avec un cartel explicatif. De la même façon que le sont, plus loin dans l’exposition, d’autres œuvres comparées comme des toiles peintes de Turner reprises en gravure pour l’édition. Pour être diffusées le plus largement auprès du public, les œuvres de Tuner étaient en effet reproduites en noir et blanc. Conscient de l’impact de la diffusion de son œuvre par ce procédé, Turner consacra, entre 1810 et 1840, beaucoup de temps à la réalisation d’estampes. Il préparait une aquarelle comme base de travail, supervisait la gravure réalisée par des maîtres graveurs, tâchant de rendre en noir et blanc toutes les nuances et les tonalités de la couleur… Le résultat est souvent proche d’une réalité photographique comme il est visible dans l’exposition.
Ses nombreux voyages en Europe lui ont permis de porter sur la nature et ses paysages un regard nouveau. A partir de 1817, Turner part à Waterloo en Belgique, en Allemagne, à Amsterdam où il étudie Rembrandt. Dans de petits carnets, il croque les paysages qu’il découvre. C’est en Italie, qu’il visite du Nord au Sud, qu’il va encore perfectionner sa palette et notamment à Gènes en 1828-1830 où il produit une série d’ébauches aux couleurs magnifiques mais invraisemblables. Dans ses peintures de paysages Turner procédait à partir d’une dominante chromatique, bleu, jaune, etc. qu’il déterminait en fonction du lieu et de ce qu’il lui évoquait.
La Provence, qu’il a sillonnée lors de ses allées et venues entre Londres et l’Italie (Avignon et Marseille, les villages perchés, les falaises calcaires des pré-alpes françaises, les ports et villages côtiers…) va lui inspirer une série d’aquarelles et de gouaches réunies pour la première fois dans une même exposition. Mais c’est à Margate, ancien petit port de pêche du Kent devenu station balnéaire, qu’il trouvera ses « plus beaux ciels d’Europe » dont il fait sa spécificité en peinture et en aquarelle.
La dernière salle de l’exposition laisse exploser les gammes et suggère l’abstraction dans l’œuvre de Turner, qui évidemment n’en est pas arrivé jusque-là. Depuis les années 1830, ses réalisations avaient clairement pris la direction de la nébulosité des formes et du flou des contours. Sur la fin de sa vie, sa peinture s’est encore simplifiée, la couleur s’étant substituée au trait pour donner sa forme au sujet. C’est ce qui a fait dire de Turner qu’il est bien un précurseur des impressionnistes. A sa mort, on retrouva dans son atelier de nombreuses toiles inachevées préparées en série jusqu’à un certain stade d’élaboration. Comme Turner, Monet aussi travaillait en série.
Valérie Maillard
« Turner et la couleur », Caumont Centre d’art, 3, rue Joseph Cabassol, 13100 Aix-en-Provence. Jusqu’au 18 septembre. Et du 8 octobre au 8 janvier 2017 à la Turner Contemporary de Margate.
Riche, merci! S.
Merci à vous.
Bel article Bravo pour votre écriture qui donne
L’envie de faire un saut a Aix voir le maître des somptueux brouillards et des lumières subtiles
Et de découvrir l’hôtel Caumont récemment ouvert au public
aussi l’occasion voir les oeuvres de Chagall à la carrière des lumières
Avec en sus une Projection le film de Jean Cocteau le testament d’Orphee
Tourne un situ (baux de Provence )un endroit magique
Bref un beau programme en perspective
Ravary
Merci pour votre commentaire et les précisions sur ces visites qui valent en effet un séjour en Provence (s’il fallait un prétexte pour séjourner dans cette belle région:).
Le nom de Turner est désormais pour moi inséparable du fabuleux film de Mike Leigh qui évitait tous les clichés. « Mr.Turner » raconte les dernières années de la vie du peintre, et je crois n’avoir jamais vu un film aussi juste sur un artiste.
A voir absolument en DVD si on aime Turner…et comment ne pas l’aimer?