Si l’on connaît quelque peu son visage et son allure alerte c’est grâce à Elisabeth Vigée Le Brun, sa consœur et amie, qui l’a immortalisé dans un sémillant portrait, accroché à l’occasion de sa rétrospective à l’automne au Grand Palais (1) et qui figure à nouveau dans la monographie que consacre actuellement le Louvre à Hubert Robert. L’exposition qui court jusqu’en mai réunit un ensemble hétérogène de 140 œuvres : dessins, peintures, esquisses, gravures, peintures de place, ensembles décoratif et mobilier provenant principalement des collections des départements des Peintures et des Arts graphiques du Louvre. Soit une infime partie cependant de ce que compte l’immense œuvre de ce peintre du siècle des Lumières tout aussi prolifique que mal connu. (Ci-dessus : portrait d’Hubert Robert peint par E. L. Vigée Le Brun, photo : VM)
«Il était de mode et très magnifique, de faire peindre son salon par Robert ; aussi le nombre des tableaux qu’il a laissés est-il vraiment prodigieux», relate Elisabeth Vigée Le Brun dans ses « Souvenirs ». «Il peignait un tableau aussi vite qu’il écrivait une lettre.» Au vu du nombre de charges et fonctions dont Hubert Robert fut responsable tout au long de sa vie (il a été architecte, dessinateur des jardins du roi – charge qu’a également occupée Le Nôtre – garde des tableaux du Muséum royal puis conservateur ; il a conçu des pièces de mobilier ; on lui prête également une activité de philosophe et l’écriture de poésies), Hubert Robert devait peindre très, très vite, en effet.
Les origines modestes d’Hubert Robert ne le prédisposaient pas à la vie qu’il a menée. Fils d’un valet de chambre du marquis de Stainville (le père du futur duc de Choiseul, très en vue à la cour de Louis XV dont il fut le premier ministre non officiel), Hubert Robert a bénéficié longtemps de la protection de cette puissante famille. Grâce aux Stainville il a été scolarisé dans un établissement parisien auquel il n’aurait pas eu accès. Remarqué pour ses dons en dessin par ses professeurs, il intégrera dès sa sortie du collège l’atelier du sculpteur Michel-Ange Slodtz.
Jeune encore, il part dans la suite du marquis de Stainville, nommé ambassadeur du roi de France auprès du Saint-Siège. A Rome, il est hébergé par l’Académie de France à la faveur de son protecteur (qu’il intègrera pleinement par la suite) et se fait connaître auprès d’un petit cercle d’amateurs et de mécènes. Il travaille assidument et se forme auprès du peintre d’architecture Pannini et du graveur Piranèse. Il côtoie aussi de jeunes élèves français comme le peintre Fragonard. Les deux artistes auront une amitié et une influence mutuelles, Fragonard initiant Robert à la peinture de paysage et aux scènes de la vie du petit peuple romain, Robert formant son condisciple à la rigueur de la composition et aux thématiques de l’architecture et de l’archéologie.
Robert revient définitivement à Paris onze ans après son départ pour Rome, en pleine mode de l’«anticomanie» qui glorifie les références à l’antique dans l’art. Il n’y cède pas particulièrement, étant déjà porté vers les ruines et la peinture d’architecture. Il décide de se présenter devant l’Académie royale de peinture et de sculpture pour y recevoir un agrément en présentant son tableau «Le Port de Ripetta», une œuvre réalisée à Rome en 1766 et qui synthétisait alors la somme de tous ses apprentissages. Contre toute attente, ce caprice architectural devient son morceau de réception à l’Académie où il est non seulement agréé, mais reçu comme académicien à part entière au titre de «peintre d’architecture». Le philosophe Diderot, qui le remarque quelque temps plus tard alors qu’il expose pour la première fois au Salon (du futur Louvre), salue son art et qualifie le peintre de «poète des ruines», une réputation devenue aujourd’hui réductrice et qui colle toujours comme un sparadrap à la peau d’Hubert Robert.
Réduire Hubert Robert à ses caprices architecturaux et ses peintures de ruines serait faire l’impasse sur le reste de son œuvre. L’exposition du Louvre retrace le parcours d’un artiste aux multiples talents. Dès son retour d’Italie, Robert maîtrise plusieurs techniques picturales, en témoignent les sanguines, lavis, aquarelles et peintures présentés. «Robert des ruines», comme il est surnommé y compris ici sur les cartels, n’a eu de cesse de diversifier ses activités. Quand ce n’était pas des décors pour des appartements parisiens, c’était de l’architecture et de l’aménagement de jardins. Ainsi, à Versailles, le roi lui commanda l’aménagement d’un bosquet autour d’un groupe de sculptures et, à Rambouillet, la conception d’une laiterie pour la reine pour laquelle il dessina, outre le plan des bâtiments, tout le mobilier d’inspiration étrusque (à contempler dans l’exposition avec la présentation de la laiterie aujourd’hui disparue).
La carrière d’Hubert Robert marque le pas sous la Révolution, sans que cela ne mette fin toutefois à ses activités de peintre. Arrêté en octobre 1793 en raison de ses liens avec l’aristocratie, il passe tout près de l’échafaud. Incarcéré à la prison Saint-Lazare, il demande ses pinceaux. Il peint sur des assiettes lorsqu’il n’a plus assez de toiles. Robert réalisera ainsi en prison une cinquantaine de toiles alors qu’il y séjourne moins d’un an.
L’histoire de l’art retient de cette période sa très connue «Bastille dans les premiers jours de sa démolition» (peinte en 1789, quatre ans avant son incarcération). Il s’agit de l’un des rares témoignages picturaux de cette période de l’Histoire de France, que Robert offrit au général de Lafayette (le tableau est aujourd’hui propriété du musée Carnavalet). Robert laisse aussi quelques remarquables représentations de la vie quotidienne des détenus, comme son «Ravitaillement des prisonniers à Saint-Lazare» (plusieurs de ces tableaux sont à voir dans l’exposition).
En dehors de son long séjour italien et de sa période d’emprisonnement, la carrière d’Hubert Robert, longue de cinquante années, ne s’est jamais faite très loin du musée du Louvre, où il vécut et posséda un atelier. Il était, dès 1778, membre de la commission chargée de la transformation du vieux palais royal en musée, puis le conservateur du futur Louvre. Par ailleurs, Robert a peint nombre d’œuvres consacrées à son aménagement («Projet pour éclairer la galerie du musée par la voûte» et «Vue de la grande galerie du Louvre en ruine» 1796 ; un diptyque où le peintre s’est figuré sous ses traits d’artiste au travail drapé d’une longue cape rouge – habitude qu’il a prise d’apparaître dans son œuvre). La célèbre institution de la rue de Rivoli, indépendamment du nombre d’œuvres qu’elle conserve de lui, lui devait bien un hommage et était la plus légitime pour organiser la première véritable rétrospective de celui qui l’a tant servie par le passé (3). Un projet qui a demandé une dizaine d’années de travail à ses organisateurs et dont on peut saluer ici le résultat.
Valérie Maillard
«Hubert Robert, un peintre visionnaire», Hall Napoléon, musée du Louvre. Jusqu’au 30 mai.
(1) Pour relire l’article sur la rétrospective Elisabeth Vigée Le Brun
(2) «Souvenirs de madame Louise-Elisabeth Vigée Lebrun», en trois volumes dans sa première édition à partir de 1835.
(3) Exposition organisée en partenariat avec la National Gallery of Art de Washington.
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