Avec sa couronne de 500 mètres de circonférence de studios d’enregistrement (qui lui vaut son surnom de «Maison ronde») agrémentée d’une tour de 68 mètres de hauteur en son centre, la Maison de la Radio, posée au bord de la Seine au sud du 16ème arrondissement, est l’un des bâtiments les plus emblématiques de l’ouest parisien. Cette œuvre massive et insolite fut édifiée par l’architecte Pierre Henry, et inauguré le 14 décembre 1963 par de Gaulle et Malraux pour abriter alors «la radio télévision française». Certains le détestent, le trouvant beaucoup trop massif, mais depuis le temps, il s’est indéniablement intégré au paysage parisien.
Décidée en 2005, la rénovation de la Maison ronde fut terminée – enfin presque – à l’automne 2014, se soldant en mars-avril de cette année là par une grève de 28 jours, la plus longue de son histoire, menée par quelque 2595 salariés fiers de leur mission de «service public». Les griefs étaient nombreux : budget en déficit pour la première fois, travaux de rénovation s’éternisant, réduction de la subvention pour cause de temps de crise, menaces de compression de personnel, contestation de la direction. Chose inouïe, les deux orchestres se mêlent à l’affaire, et le président de la Maison ronde, Mathieu Gallet, déclare au journal «Le Monde» : «Radio France n’a pas les moyens de financer deux orchestres symphoniques, un chœur et une maîtrise pour un coût de 60 millions, ne générant que 2 millions de recettes de billetterie».
Résoudre les problèmes de gestion en diminuant l’offre culturelle n’aurait pas été très malin… mais le couperet n’est pas passé loin !
Car la Maison de la Radio possède deux orchestres symphoniques permanents, l’Orchestre National de France et le Philharmonique de Radio France.
Les deux orchestres ont été heureusement maintenus, d’autant plus que leur histoire et leur «personnalité» sont bien différentes. Fondé en 1937, l’Orchestre Philharmonique de Radio France, dit «le Philhar», a été dirigé par des pointures comme Alfred Cortot, Emmanuel Krivine ou Marek Janowski, et c’est la star du bâton sud-coréenne Myung-Whun Chung qui tenait les rênes depuis 2000, invitant sommité sur sommité à se succéder sur le podium. La grande question était de savoir qui lui succéderait, question réglée en 2015 avec la nomination du jeune chef finlandais de 36 ans Mikko Franck, accueilli avec enthousiasme par les 141 musiciens virtuoses de l’orchestre.
Cette question brûlante se pose en ce moment même pour l’Orchestre National de France, dit «le National». Premier orchestre symphonique français permanent, né dès 1934, il a su développer une sonorité bien à lui (le but suprême !), notamment grâce à son histoire glorieuse, liée aux noms de Stravinsky et Toscanini, Boulez, Dutilleux ou Varese, Charles Munch ou Léonard Bernstein, Lorin Maazel et Charles Dutoit, Jeffrey Tate ou Kurt Mazur : n’en jetez plus !
Depuis 2008, «le National» a pour directeur musical le milanais Daniele Gatti, 56 ans, qui a brassé un vaste répertoire avec en particulier l’intégrale des symphonies de Mahler, le « Parsifal » de Wagner avec la distribution de Bayreuth, les chœurs de Verdi, un cycle Beethoven-Bartók…. Mais le voilà achevant son mandat cet été, et on ne sait toujours pas qui lui succèdera…
La question est d’autant plus brûlante que l’alchimie entre un chef et son orchestre est une des choses les plus mystérieuses qui soit. Impossible de la cerner en quelques mots. Il parait qu’elle s’impose à l’instant ou jamais. On parle de charisme, mais comment le définir? Il suffit de se souvenir du film de Fellini «Prova d’orchestra» (Répétition d’orchestre) se terminant dans une cacophonie et une folie générales pour se dire que ce n’est pas simple… De nos jours, les grands chefs – ou les grands noms de la baguette, ce qui n’est pas toujours équivalent – sont devenus des stars comme les autres, qui doivent susciter à la fois la ferveur des musiciens comme celle du public ou des médias.
Depuis la rénovation de l’imposant bâtiment rond, les grands concerts se déroulent dans le tout nouvel Auditorium, petite merveille de 1461 places où l’orchestre se retrouve au centre, sur un plancher de bois très clair en demi-lune, cerné de tous côtés par le public logé dans des balcons et des loges de chaud bois foncé. Exactement sur le même modèle en arène que la nouvelle Philharmonie de Paris voulue par Pierre Boulez à l’image de la Philharmonie de Berlin, située elle au nord est de Paris porte de Pantin, inaugurée en janvier 2015. A cette différence près que la grande salle de la Philharmonie atteint, elle, 2400 places.
J’ai vécu des moments merveilleux dans ce nouvel auditorium «à taille humaine», où l’on a une vue plongeante sur l’orchestre, si bien qu’on peut voir chaque musicien saisir son instrument et assister ainsi à la naissance même de la musique.
Je me souviens du concert inaugural de Mikko Franck à la tête du «Philhar» déchaînant la ferveur des musiciens comme celle du public, tout comme l’exécution magistrale de la monumentale 6ème symphonie de Mahler par l’ancien patron Myung-Whun Chung. Je me souviens du Concerto pour violon et orchestre n°1 de Béla Bartók interprété par la merveilleuse violoniste hollandaise Janine Jansen, régalant le public de deux bis en compagnie du premier violon solo du «National» la jeune Sarah Nemtanu, une star elle aussi, toujours très applaudie par son public. Je me souviens de «notre» cher pianiste Nicholas Angelich, né en Amérique mais adopté par les Français depuis longtemps, interprétant le Concerto pour piano et orchestre n°5 de Prokofiev…. et de «notre» trépidant Jean-Efflam Bavouzet défendant au clavier un électrifiant concerto de Pierné. Ou encore du tout jeune Edgard Moreau, 21 ans, au premier plan du demi-cercle de lumière, «le National» déployé derrière lui, interprétant sans partition le Concerto pour violoncelle n°1 de Camille Saint-Saëns (voir «Edgar Moreau Giovincello : c’est Mozart qui ressuscite»).
Sans oublier, dans l’ancienne salle Olivier Messiaen transformée en Studio 104, la Comédie Française en chair et en os interprétant, en octobre dernier, «Phèdre» de Racine discrètement accompagnée par deux musiciens ; et le 13 mars, un récital de la merveilleuse mezzo française Nora Gubisch, trop absente de nos scènes, accompagnée au piano par son mari maestro Alain Altinoglu. De ces moments lumineux et rares qu’on n’oublie pas.
Tant de souvenirs, passés et à venir, car l’offre est aussi abondante qu’alléchante.
Pour ma part, j’assisterai le 15 avril prochain à une exceptionnelle représentation de «L’Enfant et les Sortilèges» de Maurice Ravel liée à un enregistrement discographique, avec une formidable distribution accompagnée par «le Philhar» dirigé par son chef Mikko Franck.
Et je reviendrai le 23 mars pour entendre Adam Laloum interpréter le Concerto pour piano n°27 de Mozart , toujours avec «le Philhar», mais dirigé par le vétéran Sir Roger Norrington. J’ai appris à apprécier l’intériorité du jeune Laloum ces dernières années dans le cadre du festival «Solistes à Bagatelle». En dépit de son parcours ( lauréat du prix Clara Haskil à 22 ans, Victoire de la Musique Classique en 2012, enregistrements Mozart et Brahms remarqués), il a gardé son air plus que modeste, un peu traqué, très attachant.
Notons ensuite le week-end du 7.8.9 mai consacré à Inauguration de l’orgue de la Maison de la Radio, ainsi qu’un «Tristan et Isolde» de Wagner accompagné par le «National» dirigé par Daniele Gatti donné au Théâtre des Champs-Elysées.
Lise Bloch-Morhange
Maison de la Radio 01 56 40 15 16
Dimanche à 11H (10 avril) magnifique concert d’Adam LALOUM au Théâtre des Champs Elysées:
Robert Schumann: Davidsbündlertänze 18 pièces opus 6
Franz Schubert: Sonate N° 23 en si bémol majeur
Un homme raffiné !
Un moment rare !