Qui n’a jamais décollé de papier peint du mur de son nouveau logement avec la joie galvanisante de celui (celle) qui rêve d’en finir avec la déco de grand-papa ? Quelle meilleure manière de s’approprier un lieu que de le repeindre à coup de Ripolin à même la tapisserie ? Nous avons tous en tête l’image d’un vieux papier peint qui nous obsède jusqu’à l’écœurement : les bégonias roses ou le circuit automobile de notre chambre d’enfant, les motifs géométriques seventies chez notre tante ou les candélabres et arabesques romantiques du salon de la maison familiale… (Ci-dessus : « Origami », Kumi Yamashita. Œuvre réalisée pour l’exposition Pierre Frey, photo:VM)
Tant pis pour nous – ou plutôt tant mieux –, le musée des Arts décoratifs de Paris en remet une couche avec deux expositions dont l’une propose de faire découvrir les tissus d’ameublement de la maison Pierre Frey et l’autre de présenter quatre siècles de papiers peints. Une belle occasion de balayer – oui, oui, c’est possible – nos a priori.
«Tissus inspirés – Pierre Frey» et «Faire le mur – Quatre siècles de papiers peints» ont pris leurs quartier jusqu’au mois de juin dans les galeries d’étude du musée des Arts décoratifs. Modestes par leur taille, grandes par l’intérêt qu’elles suscitent, ces deux expositions valent un détour rue de Rivoli par un jour pluvieux. Et de profiter de prolonger l’instant par la visite du fonds de ce magnifique musée parisien qui conserve l’une des plus importantes collections d’arts décoratifs au monde, classée en cinq départements (Moyen Âge et Renaissance, XVIIe et XVIIIe, XIXe, Art nouveau et Art déco, Art moderne et contemporain) et sept thématiques (Arts graphiques, Bijoux, Jouets, Papiers peints, Verre, Mode et Textile, Publicité et Graphisme). Nous oublions souvent que ce musée peut faire l’objet de l’une de nos sorties parisiennes et c’est un tort.
Premier grand hommage rendu au célèbre créateur français de tissus d’ameublement, l’exposition Pierre Frey retrace quatre-vingt ans de production de la maison éponyme. L’ensemble présente deux cents travaux issus des collections de l’éditeur textile associés à des créations du musée des Arts décoratifs (objets, vêtements et mobilier) et à des œuvres d’artistes contemporains intervenant sur les thèmes de la couleur, l’encre, l’histoire, la matière, le motif et le bruissement de l’étoffe. Leurs créations ont pris la forme de peintures, sculptures, installations vidéos et sonores et ponctuent agréablement l’exposition.
A l’origine de la célèbre maison Frey, il y a un personnage, Pierre, ex coupeur chez un fabricant de tissus d’ameublement parisien, qui rencontre en 1934 le dessinateur Jean Chatanay, avec lequel il s’associe. Mais ce n’est qu’en 1937 que la société Pierre Frey est créée (le fondateur ayant racheté les parts de Chatanay) et s’établit au 47 rue des Petits-Champs, à Paris, où demeure le siège social. Cette exposition n’a rien d’une rétrospective, mais a été conçue pour une évoquer la production d’une marque toujours en activité, ayant recours depuis toujours au travail de designers textiles et à des artistes pour concevoir ses motifs. Quatre ont d’ailleurs été invités à réaliser un produit pour l’exposition qui sera édité dans une collection de la maison.
Dans une première salle sont expliquées les étapes et méthodes nécessaires à l’élaboration d’un textile, qui requièrent chez Pierre Frey les compétences d’un dessinateur, d’un tisserand et d’un imprimeur. Passée rapidement cette mise en bouche, la suite du parcours permet de voir les textiles et les papiers peints (il y en a aussi chez Pierre Frey depuis les années 1970) sélectionnés dans ce qu’ils présentent d’emblématique de la production de la maison. Il y a là des tissus destinés à l’édition et des modèles exclusifs créés pour des décorateurs (Alavoine, Mauny, Beranger) ou pour des stylistes (Elsa Schiaparelli, Carlos de Beistegui). Aujourd’hui, la maison Frey poursuit son développement sous la houlette du fils du fondateur (Patrick Frey, actuel PDG) et de ses trois petits-fils. Patrick Frey a initié toute une série de déclinaisons de la marque (vaisselle, carrelage, linge de maison – que vous ne verrez pas ici) et a ouvert plusieurs filiales à l’étranger.
De son côté, l’exposition «Faire le mur» révèle une part du fonds du département des papiers peints du musée riche de… 440.000 pièces. Rassurez-vous, vous n’en verrez que 300 environ. C’est amplement suffisant pour prendre la mesure de la qualité de cette magnifique collection. Il n’y a rien de chronologique dans le déroulé du parcours, les organisateurs ont préféré jouer sur la confrontation entre les époques, créant des chocs visuels ou cherchant à révéler des similitudes entre les papiers peints. C’est beau, chatoyant, coloré et très réussi.
Chacune des salles abrite une thématique : anoblir le mur, imaginer le mur, déguiser le mur, raconter le mur… Des papiers peints datant du XVIIIe siècle côtoient des créations contemporaines, mettant en évidence la répétition ou l’opposition des formes à travers les différentes périodes. Le papier peint n’est pas seulement une surface couvrante, peut-on comprendre ici, il crée au contraire un univers ; les motifs ou les trompe-l’œil modifiant notre perception de l’espace et de ses limites. Les papiers peints par leur richesse créative et leurs références sont des acteurs des modes et des témoins des goûts et des techniques du moment. Le XVIIIe ne plébiscitait-il pas les arabesques et les trompe-l’œil ? Le XIXe les décors antiques ? Le XXe ne faisait-il pas la part belle à de nouvelles matières exogènes comme le cuir et le métal ; et notre siècle à «l’intissé», cet assemblage entre des fibres textiles comprimées et un support papier. Et de découvrir que nombre d’artistes, dessinateurs, illustrateurs, créateurs de mode se sont adonnés au dessin d’au moins un motif pour le papier peint : Niki de Saint-Phalle, Allen Jones, Jean-Michel Folon, Jean Tinguely, Manuel Canovas, Zaha Hadid ou Christian Lacroix.
Papiers peints et tissus muraux ont de beaux jours devant eux. Aujourd’hui place est faite au numérique : des sites internet proposent la réédition sur commande de papiers peints dont les modèles datent des XVIIIe et XIXe siècles. Par ailleurs, il est possible de faire imprimer ses propres photos pour couvrir l’intégralité d’un mur (1). Effet assuré (sic) ! La technique ne semble plus poser de limites à la qualité des agrandissements. La seule limite qui persiste est celle de la taille des murs de nos appartements.
Valérie Maillard
«Tissus inspirés – Pierre Frey » et « Faire le mur – Quatre siècles de papiers peints», galeries d’études du musée des Arts décoratifs, 107 rue de Rivoli, 75001 Paris. Jusqu’au 12 juin 2016.
(1) Exemples de site proposant de réaliser des papiers peints sur mesure :
http://www.papiersdeparis.com/achat/cat-papiers-peints-anciens-7.html
http://www.e-papier-peint.com