Regarder à l’ancienne une peinture de paysage consiste à prendre du champ, s’éloigner de quelques pas en se lissant les moustaches dans la mesure du possible et arborer pour finir, un air perplexe d’amateur éclairé qui préfère juger en toute perspective.
Avec Albert Marquet (1875/1947), que le musée d’art moderne a judicieusement choisi d’exposer (jusqu’au 21 août), il faut au contraire s’approcher pour impérativement s’intéresser aux détails. Ils révèlent son formidable génie de dessinateur et la touche incroyablement suggestive qu’il opère pour esquisser un voilier, un personnage dans la foule.
La scénographie de l’exposition commence par ses nus. Ses aquarelles racontent le corps féminin avec une précision d’autant plus frappante qu’il ne fait qu’aborder les formes. le résultat n’en est que plus impressionnant. Il faudra du reste attendre la fin du parcours pour comprendre qu’également, lorsqu’il utilise l’aquarelle pour un paysage (la plage de La Goulette en Tunisie, celle d’Hendaye), l’efficacité de son travail nous renvoie à une émotion où rêve et beauté se confondent.
Mais pour les peintures, il faut les coller au plus près et se lancer dans un recadrage mental pour discerner dans ses tableaux un assemblage de plusieurs scènes à la luminosité raffinée. Il en va ainsi de cette frêle embarcation sur la mer en face du Pyla (l’affiche de l’exposition), ou encore de ce canoë inséré dans cette toile reproduisant un bord de rivière à la Varenne Saint-Hilaire. Ses «Affiches» à Trouville (même sujet pour Raoul Dufy, la même année), son «Port de Hambourg» témoignent de sa capacité à isoler quelques centimètres carrés pour la transformer en une zone de séduction qui fixe (et peut-être séduit) davantage le regard que l’ensemble. Ainsi, mieux qu’à la longue vue, Marquet se jauge mieux au monocle.
Dans l’agrandissement photographique qui marque de l’entrée de l’exposition, l’homme ne fait guère fantaisiste. Il est né à Bordeaux, d’une famille modeste. Dès quinze ans, en 1890, il monte à Paris pour suivre des cours de dessin. Quelques années plus tard il rencontre Matisse qui sera pour lui d’une influence décisive. C’est un artiste sur le motif. Que ce soit depuis la fenêtre de son appartement parisien, sur le port de Tanger, à Rabat, en Espagne, à Marseille ou encore à Cassis, Marquet s’expose à la lumière, la capte puis cadre le décor, le peint et le dépeint avec une inspiration où se forgent les précieux détails.
Parmi les faits qui caractérisent sa carrière et qui permettent de se faire une idée du personnage, il y a la grippe espagnole dont il sera atteint en 1919 et dont il se relèvera, contrairement aux millions de victimes. Plus tard il déclinera l’invitation à exposer à Paris tant que la ville sera sous «la botte des nazis» et il refusera aussi en 1941, de fournir un certificat de «non-appartenance à la race juive» pour figurer au Salon des Tuileries. Certains de ses confrères seront moins délicats.
Il décédera en 1947 à La Frette (Val d’Oise) laissant une œuvre que d’aucuns pourraient encore critiquer pour sa linéarité et la déclinaison à l’envi de ses thèmes portuaires ou fluviaux. Mais ses toiles sont comme des cartons d’invitation, des paliers au seuil desquels tout un monde scintille et poudroie.
PHB
J’aime l’efficace sobriété de ce peintre, merci pour la visite Philippe !
ne pas oublier l’amitié forte d’Henri Matisse, leurs lettres et leurs cartes postales (publiées) sont souvent droles et pas potaches du tout : la beauté des lieux, les visages croisés, les bonnes tables… la production picturale certes mais aussi, l’agrément de la vie…
Je trouve bienvenu le commentaire de Mr Charenton. J’ai souvent croisé Marquet dans différents livres et musées. Et j’apprécie sa finesse. S.