“La Ménagerie de verre” (The Glass Menagerie), qui se joue du 31 mars au 28 avril 2016 au Théâtre de La Colline à Paris, est une des premières pièces de l’écrivain américain Tennessee Williams (1911-1983). D’inspiration largement autobiographique, elle fut écrite en 1944, montée à Chicago la même année, puis à New York en 1945 et permit à son auteur de connaître, à trente-quatre ans à peine, une soudaine célébrité ( prix du Cercle des critiques dramatiques de New York , 1945 ).
Cette notoriété se confirma deux ans plus tard avec le succès d’“Un Tramway nommé Désir” (A Streetcar Named Desire) qui valut au dramaturge le prestigieux Prix Pulitzer.
En vingt-quatre ans, dix-neuf pièces de Tennessee Williams furent créées à Broadway, ce qui fit de lui l’un des auteurs de théâtre les plus prolifiques de son temps. Nombre de ses œuvres furent également portées à l’écran par des réalisateurs aussi prestigieux qu’Elia Kazan (“Un tramway nommé Désir”, 1951 ; “Baby Doll”, 1956), Joseph Mankiewicz (“Soudain l’été dernier”, 1959), John Huston (“La Nuit de l’iguane”, 1964) ou encore Sydney Pollack (“Propriété interdite”, 1966), leur accordant ainsi une renommée internationale. De 1950 à 1987, on ne compte pas moins de seize adaptations cinématographiques de ses pièces ! “La Ménagerie de verre” elle-même fit l’objet de deux films à près de quarante ans d’intervalle: en 1950, une réalisation d’Irving Rapper, avec Jane Wyman, Kirk Douglas, Gertrude Lawrence et Arthur Kennedy dans les rôles principaux et, en 1987, une seconde de Paul Newman, avec John Malkovich, Joanne Woodward, Karen Allen et James Naughton.
Le théâtre de Tennessee Williams met en scène des désaxés, névrosés solitaires inadaptés à la société américaine, grands perdants de la vie vers lesquels, dans un mélange de réalisme et de rêve, semblent aller toute l’empathie et l’intérêt de l’auteur. Ces marginaux hantent à jamais la mémoire des cinéphiles à travers les merveilleuses interprétations qui en ont été faites par des actrices et des acteurs de talent tels que Vivien Leigh, Marlon Brando, Eli Walach, Paul Newman, Elizabeth Taylor, Montgomery Clift, Richard Burton ou encore Natalie Wood, pour n’en citer que quelques uns.
Amanda, Laura et Tom, les laissés-pour-compte de “La Ménagerie de verre”, sont des personnages magnifiques, victimes poignantes des frustrations et des excès d’un système.
“La Ménagerie de verre” est une pièce sur le remords. Il s’agit d’un souvenir raconté par Tom, dont il est tout à la fois narrateur et acteur, et qui ne cesse de le hanter depuis lors. L’histoire se déroule à Saint-Louis, dans le Missouri, dans un petit appartement où vivent trois membres d’une même famille : Amanda Wingfield, la mère, abandonnée par son mari et figée dans la souvenance du monde révolu et idéalisé du Mississippi de sa jeunesse lorsqu’elle était une Belle du Sud courtisée par de nombreux galants; Laura, sa fille, jeune fille fragile et solitaire qui collectionne des petits animaux de verre ; et Tom, son fils, poète frustré et employé dans une usine de chaussures pour faire vivre sa mère et sa sœur. A ce trio s’ajoute un quatrième personnage : Jim O’Connor, jeune collègue de Tom, invité le temps d’une soirée.
Loin du réalisme psychologique et de l’hystérie auxquels on aurait pu s’attendre chez Tennessee Williams, Daniel Jeanneteau, scénographe attitré de Claude Régy pendant une quinzaine d’années, a mis en scène et scénographié cette pièce sur le souvenir comme un rêve. L’auteur lui-même, l’avait sans doute imaginée ainsi, si l’on en croit ses écrits : “La pièce se passe dans la mémoire et n’est donc pas réaliste. La mémoire se permet beaucoup de licences poétiques. Elle omet certains détails ; d’autres sont exagérés, selon la valeur émotionnelle des souvenirs, car la mémoire a son siège essentiellement dans le cœur.”
Dans un délicat volume translucide tout en tulle, les personnages se déplacent comme en apesanteur sur un sol blanc duveteux tels des fantômes traversant la mémoire du narrateur. Une table, une chaise, un tourne-disque posé à même le sol, une machine à écrire, un miroir en pied, un luminaire en papier écru suspendu et recouvert d’une fine étole de couleur, un chandelier, deux coussins, un bouquet de fleurs jaunes…. sont les quelques accessoires qui viennent habiller de temps à autre cet espace nu et voient ainsi, du fait même de leur simple présence, leur signification s’amplifier. Et au premier plan, côté cour : cette minutieuse collection d’animaux de verre qui donne son titre à la pièce et auprès de laquelle se réfugie la fragile Laura afin de rendre son existence supportable, ce monde imaginaire qu’elle s’est fabriqué et qui transcende la réalité étouffante de son quotidien.
Ce huis-clos familial oppressant, proche du cauchemar, de par sa représentation quasi irréelle et distante, se revêt alors d’une infinie poésie – soulignons le travail remarquable de Pauline Guyonnet à la création lumières avec une belle et subtile utilisation des chauds et des froids –. Le jeu des acteurs y contribue également pour beaucoup. Tous les quatre sont remarquables et Dominique Reymond, dans le rôle de la mère, tout simplement exceptionnelle. Sa démarche dansante et aérienne, sa silhouette tout à tour juvénile puis tout en raideur, ses changement de voix – passant sans transition d’une voix de tête à une voix grave –, les infinies variations de son jeu font d’Amanda un personnage fascinant, un monstre attachant.
Après avoir monté la pièce une première fois en japonais, à Shizuoka en 2011, Daniel Jeanneteau reconnaît avoir entrepris la version française pour Dominique Reymond tant la rencontre entre l’actrice et le personnage d’Amanda lui paraissait évidente. Solène Arbel incarne une Laura tout à la fois gauche et gracieuse, timide et revêche, toute en intelligence sensible. Son tête à tête avec Jim est un moment de poésie pure, de grâce ultime. Tel le renard se laissant apprivoiser par le Petit Prince, Laura entend peu à peu les paroles de Jim jusqu’à lui ouvrir son cœur et entamer une valse avec lui. Fragile comme la petite licorne de verre chère à son cœur, sa différence fait son charme. Les personnages masculins sont ceux qui nous ramènent à la réalité brutale de la vie, nous réveillant en quelque sorte de ce songe éveillé. Lorsque la mémoire se fait poésie….
Isabelle Fauvel
Vu à La Scène Watteau de Nogent sur Marne.
«La Ménagerie de verre» de Tennessee Williams, mise en scène et scénographie de Daniel Jeanneteau, avec Solène Arbel (Laura), Pierric Plathier (Jim), Dominique Reymond (Amanda), Olivier Werner (Tom) et la participation de Jonathan Genet ( le père, sur la vidéo).
Au théâtre de la Colline (Grand Théâtre), du 31 mars au 28 avril 2016, du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30 et le dimanche à 15h30.
En Tournée :
du 11 au 13 mai 2016 : Maison de la Culture de Bourges
les 18 et 19 mai 2016 : Le Quartz – Scène nationale de Brest
du 24 au 27 mai 2016 : Comédie de Reims – CDN