C’en est fini des palissades, la fac de Jussieu a réintégré le quartier. Réhabilitée elle apparaît sans doute plus belle que jamais, tant les scandales et les années de travaux avaient occulté ses qualités architecturales. On peut donc enfin la redécouvrir, en déambulant entre dalle et nouveaux jardins. Mais, Vigipirate oblige, une seule entrée est accessible, rue Jussieu, et c’est dommage, car cette architecture sur pilotis, tout en transparence, trouve tout son sens dans ses relations fluides avec le quartier.
C’est André Malraux qui en 1964 confie le projet à l’architecte Edouard Albert (1910-1968), sans doute impressionné par la tour Croulebarbe (13e) que ce dernier avait livré trois ans plus tôt, faisant la démonstration des qualités structurelles et plastiques d’une ossature métallique laissée apparente en façade. Le maître d’œuvre du « premier gratte-ciel parisien (65m !) » construira donc le plus grand campus français (6 ha). E. Albert, qui revendique l’Escorial, près de Madrid, comme source d’inspiration, propose une construction modulaire avec un plan en damier : « le gril ». Sur une trame régulière, des bâtiments de cinq étages sur pilotis entourent des patios, creusés dans la dalle. Ce système est permis grâce à deux niveaux de sols superposés, l’un correspondant au quai Saint-Bernard (patios) et l’autre à la place Jussieu (dalle). En guise de signal, il intègre la tour Zamansky (90m) qui domine largement l’ensemble.
Décès de l’architecte et désengagement de l’Etat font que les travaux sont stoppés en 1972 laissant un projet inachevé. Il manque quelques patios, autrement dit quelques cases à remplir, mais là n’est pas le problème principal. Les difficultés viennent de l’amiante utilisée pour la protection au feu des structures métalliques. Le scandale éclate dès les années 1970 et entraîne des travaux titanesques qui durent plus que prévu. De fait la littérature concernant Jussieu se trouve davantage du côté des rapports de la Cour des comptes. On parle de près de 2 milliards d’euros….
Les travaux de désamiantage, achevés en 2011, sont le vecteur d’une lourde restructuration du campus dont la dernière partie, le secteur est, vient d’être livrée par l’agence Architecture-Studio. C’est un vrai plaisir de visiter le campus avec ces derniers, tant ils aiment le projet d’E. Albert et se sont impliqués. Ils rappellent au passage que plusieurs agences se sont succédées. D’abord W. Mitrofanoff, qui ayant pris le parti d’enrober les poteaux, et donc de dénaturer le projet originel a été remercié suite une véritable révolte menée par un groupe de confrères. Puis Reichen et Robert à qui l’on doit la réhabilitation du secteur ouest. De fait, JF Bonne (A-S) précise : « notre stratégie a été de rendre la force et la cohérence des bâtiments d’origine tout en se positionnant par rapport aux interventions de nos prédécesseurs pour conserver l’unité du ‘gril’ ».
Il nous explique aussi que « les grands axes du projet étaient l’ouverture sur la ville, la création d’espaces végétalisés et l’insertion d’éléments singuliers comme autant de repères structurants ». L’aménagement du vaste parvis de la tour Zamansky, est significatif des deux premiers. Parsemé d’îlots plantés par le paysagiste Michel Desvigne, en référence aux campus américains, il descend désormais en pente légère vers la place Jussieu. La liaison devrait être douce, mais comme nous l’avons vu plus haut, c’est fermé par une grille. Demeurent les vues proches ou lointaines qui se découvrent, toujours différentes, au détour des allées.
Pour casser l’uniformité reprochée au projet d’E. Albert, tout en conservant l’aspect de ses bâtiments, Architecture-Studio a travaillé au renouvellement des patios. Ils ont implanté trois édifices aux formes et aux fonctions différentes qui désormais émergent de la dalle, tels des balises. La bibliothèque des Licences et sa toiture-jardin incurvée se manifestent hors de deux patios. Bien que semi-enterrée, elle est éclairée naturellement grâce à des façades entièrement vitrées. La présence du nouvel amphithéâtre des colloques (500 places) se devine à la déformation topographique de la dalle créant un espace en gradins irréguliers abrité par une sur-toiture en ETFE. C’est devenu un espace de rencontre très apprécié des étudiants. Quant au Tipi, dont la forme est créée par la torsion de tubes d’aluminium, il abrite des espaces d’expositions. Et puisqu’on est à la fac de sciences, sachez qu’il s’agit d’un hyperboloïde de révolution.
Les œuvres d’art en présence (1% artistique) ont été réhabilitées aussi, comme la mosaïque arc-en-ciel d’André Baudin qui entoure le Tipi, les dallages géométriques de Jacques Lagrange sur la dalle, les céramiques monumentales de Léon Gischia, etc… JF Bonne nous révèle « qu’un stabile de Calder attend toujours d’être monté ». Par le travail sur les matériaux, inox, bois…et la végétation, l’approche d’Architecture Studio apporte une touche sensuelle, chaleureuse et parfois ludique qui ranime avec respect, l’architecture fonctionnelle d’Edouard Albert.
Marie-Françoise Laborde
Voilà un papier salutaire sur cette architecture des années 60-70, souvent décriée, à juste titre d’ailleurs, mais où se cache quelques pépites.
L’article est passionnant… mais, en voyant les photos c’est quand même toujours aussi moche… et, par expérience, étant le produit de cette époque 60-70, ça vieillit vite…
Je me souviens que j’étais dans un CES genre Jussieu. On avait essuyé les plats. Il était tout neuf quand j’étais en 6e… quand je l’ai quitté à la 3e, il était déjà une presque ruine… prêt à faire déprimer des générations de collégiens…
J’aurais préféré qu’on rase Jussieu amianté, qu’on construise une structure solide et fonctionnelle… et qu’avec tous les milliards économisés, on donne de quoi faire des études à des élèves défavorisés…
Mais c’est normal qu’on restaure, le hollandisme n’est-il pas une sorte de néo-pompidolisme ?
Comme les classes à venir seront celles du baby boom des années 2000… Peut-être, du coup, que Jussieu rénové sera le cadre d’une nouvelle explosion de la jeunesse bien malmenée aujourd’hui avec crise économique, « vieillisme » des institutions, civilisation numérique pire que celle matérialiste de la surconsommation des Trente glorieuses… et je ne parle de l’état d’urgence, de l’appel au drapeau… et du possible retour du Service militaire, bonne chose pour cristalliser les prochaines révoltes étudiantes…
Finalement, c’est peut-être une bonne chose, cette rénovation inutile !
Ce n’est pas F Hollande qui a décidé la restauration mais J Chirac. Et oui, ce fut une longue restauration, ce qui explique son coût !
Évidemment, c’était un raccourci… Mais vous savez bien qu’il y a l’espace d’un papier de cigarettes entre tous ces politiciens… Si vous ne pensez pas ça, et qu’il y a encore une gauche et une droite, vous avez de la chance !
D’ailleurs, à l’heure actuelle, notre cher président prend des mesures qui retomberont sur la tête de son successeur sans doute aussi petit que lui en taille, chauve et de « droite »…
Je crois que ce que je disais d’intéressant était autre… enfin, qui ne veut pas comprendre…