Il est des cités où la sémantique retrouve tout sons sens. A l’opposé des symboles de déshérences urbaines que représentent, souvent injustement, les cités HLM, flâner au cœur de leurs ancêtres HBM, rappelle que logement social et urbanisme peuvent se conjuguer pour le meilleur. Démonstration à la cité-jardin du Pré Saint-Gervais. (93).
Au début du XXe siècle, la question du logement ouvrier comme celle de l’aménagement de la banlieue parisienne sont dans une impasse. Manque chronique pour l’un et développement anarchique pour l’autre trouveront la solution du côté de l’Angleterre. Le concept de garden-city, développé à partir de 1898 par l’activiste avant l’heure, Ebenezer Howard, est un projet de composition urbaine globale et cohérente dans laquelle habitat, nature et équipements se mêlent en un tout harmonieux. A partir de cette formule, dont la première application à Letchworth en 1904 était celle d’une ville suburbaine, le concept a évolué. En France le projet sera essentiellement social et à l’échelle du quartier.
Apportant la part de rêve des utopies sociales aux exigences de planification de l’urbanisme, le concept de cité-jardin avait tout pour plaire au militant socialiste Henri Sellier. En tant qu’administrateur délégué de l’OPHBMDS, l’Office public des Habitations à Bon Marché de la Seine, il en construira une quinzaine dans l’Entre-deux-guerres, dont celle de Suresnes où il était maire. Celle du Pré Saint-Gervais, qui s’étale aussi sur Pantin et Les Lilas, est la plus proche de Paris. Conçue entre 1933 et 1949 par l’architecte Félix Dumail, elle est reconnaissable à ses immeubles de brique rouge, cousins de ceux qui enserrent Paris, construits eux aussi par l’Office.
Mais ici les murs ondulent, s’ouvrent et se ferment pour créer de nouveaux espaces et surtout fabriquer de la ville. Ces longs rubans d’immeubles se raccrochent à l’existant tout en inventant des fragments de quartiers, publics ou privés, avec une fluidité remarquable. Ils se déroulent le long des grands axes pour marquer les limites de la cité-jardin mais assurent la liaison avec le voisinage par le biais des commerces et des équipements, ouverts à tous, qui occupent les rez-de-chaussée. Pour pallier la monotonie que les longues bandes d’immeubles auraient pu engendrer, Félix Dumail a dessiné différents ensembles d’édifices selon leur emplacement. Chaque groupe est composé d’unités, comprenant un escalier central desservant deux logements par étage, et se répétant.
Les dénominateurs communs sont la brique rouge et le toit terrasse ainsi que certains éléments de façades, utilitaires ou décoratifs comme la loggia, les bandeaux et linteaux de ciment blanc et les encadrements de portes à redent. A hauteur du piéton, le travail très fin de la brique invite à une lecture attentive.
A la cité Henri Sellier, la partie située au Pré, les deux enceintes rouges s’articulent de part et d’autre de la place Séverine. L’une s’ouvre largement sur un stade, tandis qu’en vis-à-vis, l’autre s’entrouvre, par un porche, sur un espace plus intime. Le piéton est invité à entrer ou pas. Ce procédé rappelle au passage (ou pas) que les urbanistes savent guider nos pas. Mais ce serait dommage de ne pas franchir le porche car il mène à une des parties les plus emblématiques de la cité-jardin : le square Henri Sellier, entouré d’un chapelet de pavillons, isolés ou en bande. L’originalité de ces derniers, encore 80 ans plus tard, est leur modernité. Cubiques, à toits plats, avec des volumes très découpés, des façades dépourvues d’ornement, ils forment un ensemble étonnant, comme un songe des Modernes des années 1920. Avec leurs ateliers d’artistes et la végétation des jardins et du square ils composent un lieu réellement insolite.
La modernité se trouvait aussi dans les logements (56 en pavillons, 1256 en collectifs). D’un confort exceptionnel à l’époque (certains avaient une vraie salle de bain) ils obéissaient aux préceptes hygiénistes : beaucoup d’air et de lumière. La végétation, sans laquelle la cité ne serait pas jardin, est omniprésente. La conception paysagère obéissait à des codes précis qui donnent une unité à toutes les opérations. Domestiquée dans les espaces collectifs elle est libre dans les jardins privés bien que réglementée. De grands sujets accompagnent les immeubles le long des grands axes. Les pavillons sont fermés par des clôtures en ciment doublées de haies de troènes (taillés par l’Office dans un souci d’unité). Les avant-cours sont agrémentées de plantes et d’arbustes d’ornement. Les jardins à l’arrière étaient autrefois en grande partie potagers. Une pratique perdue mais dont subsistent quelques arbres fruitiers. Le square, jardin public doté de jeux d’enfant et clos de grilles, s’inscrit dans la tradition haussmannienne.
La balade se poursuit à la cité des Pommiers, à Pantin, avec son alignement d’immeubles en brique rouge et jaune et à la cité des Auteurs implantée sur la forte pente des coteaux des Lilas. Plus tardive, elle date de l’après guerre, cette dernière se plie à l’exercice de la standardisation mais présente des qualités paysagères indéniables. On peut traverser les trois parties à l’abri des voitures, tant les cheminements piétons ont été bien pensés.
Ce qui frappe et qui est le propre de toutes les cités-jardins, c’est le calme et la sérénité des lieux. Bien préservée et réhabilitée avec soin, la cité-jardin représente un moment heureux de la banlieue parisienne. A une époque où la classe ouvrière avait droit de cité.
Marie-Françoise Laborde
- E. Howard. Les cités-jardins de demain. Traduction française. Ed. Sens & Tonka. 1998
- B. Pouvreau, M Couronné, MF Laborde, G Gaudry. Les cités-jardins de la banlieue du nord-est parisien. Editions du Moniteur. 2007
Ce havre de paix et d’architecture se visite : le samedi 16 avril de 14h à 16h, avec Marie-Françoise Laborde, architecte et journaliste. 10 €/personne.
Inscriptions : marielaborde75@gmail.com
En ce qui me concerne, une découverte, merci. PHB