Chaque conflit armé obéit au même absurde processus, détruire pour « mieux » reconstruire, la question du mieux n’étant pas toujours prioritaire face à l’urgence. En 1945, le bilan est lourd : 4 millions de personnes totalement sinistrées et 1 million partiellement. Dés 1944, Raoul Dautry et son équipe du MRU, Ministère de la reconstruction et de l’urbanisme, tout juste créé à Alger, s’interrogent déjà sur les formes et les mises en œuvre de la reconstruction. Habitat individuel ou collectif ? A l’identique ou bien en renouvelant la ville et l’architecture ?
L’incapacité à trancher donnera Saint-Malo (Arretche, arch.) dans un cas et Le Havre (Perret arch.) dans l’autre. L’absence de doctrine claire n’empêche pas l’ambition de construire beaucoup, vite, et le moins cher possible. La réponse se trouve dans l’industrialisation du bâtiment et notamment la préfabrication, domaines dans lesquels la France accuse un retard dramatique et doit donc moderniser tout le secteur du bâtiment. Pour cela, le MRU décide de confronter différents procédés «d’avenir», français et étrangers. Il organise deux expositions internationales en 45 et 46, et lance des chantiers expérimentaux. C’est aussi une période dynamique pour l’habitat au cours de laquelle on repense le logement et les modes de vie. C’est dans ce cadre que démarre l’aventure de Merlan.
Ville cheminotte, Noisy est pilonnée le 18 avril 44, par près de 4000 bombes visant la gare. Son maire H. Quatremaire, communiste et résistant, accueille les propositions de R. Dautry et fait de sa ville sinistrée un laboratoire d’architecture : un chantier d’immeubles collectifs près de la gare (Nelson et Sebillote, arch.) et de maisons individuelles dans un secteur resté maraîcher, Le Merlan. Le projet prévoyait 150 maisons, mais seules 56 maisons prototypes, toutes achetées par le MRU, sont construites, dont 25 venues de l’étranger : Angleterre (7), Canada (1), Etats-Unis (11), Finlande (2), Suède (2), Suisse (3). L’aménagement du terrain de 6,5 ha est soigné et s’inspire des cités-jardins : voies hiérarchisées, squares et plantations des espaces collectifs comme des jardins soumis à un cahier des charges qui en fait un lotissement paysager de qualité.
Les premiers chantiers ouvrent dès septembre 45. Et d’emblée, les constructions offrent une grande diversité de formes, de matériaux et de mise en œuvre. Les constructeurs français privilégient des matériaux lourds comme le béton, faisant la démonstration d’assemblages diversifiés, ou des matériaux traditionnels : la pierre pré-taillée ou reconstituée et la brique. Mais ils se montrent aussi précurseurs en proposant le métal, l’acier plié ou l’aluminium. Tandis que les Etats-Unis, la Suisse ou encore la Suède et la Finlande optent pour le bois, matériau disponible en grande quantité et facilement transportable. Le montage est parfois spectaculaire comme celui de la maison en aluminium Airoh (GB) composée de quatre morceaux assemblés en une semaine. Tous les pavillons sont livrés meublés et équipés et offrent un confort encore rare à l’époque (salles de bain, machines à laver, etc..).
Ce catalogue d’architecture en grandeur nature, sert de parc d’exposition jusqu’en 1951. Les locataires (sinistrés noiséens) se sont engagés à laisser visiter leurs maisons et le succès est considérable. Architectes, ingénieurs, hauts fonctionnaires français comme étrangers mais aussi assistantes sociales se déplacent pour observer les modes de constructions. Puis la cité est un peu oubliée et serait presque devenue un quartier comme un autre. Propriétés de l’état jusque dans les années 1980, la plupart des maisons sont alors vendues à leurs occupants. Certaines ont été profondément modifiées et d’autres démolies, dont celle conçue par Jean Prouvé (alors en attente de reconnaissance). Pour endiguer sa dégradation, l’ensemble de la cité (squares, voirie et pavillons) est protégé au titre des Monuments Historiques en 2000.
Aucun bilan complet n’a été réalisé sur cette expérience. Le chantier a été plus long que prévu donc plus coûteux. Seules sept des maisons de Noisy seront bâties ailleurs. La construction en bois ou en fer, jugée trop fragile par la population et trop étrangère à leur culture est abandonnée. Les enseignements tirés sur l’habitat serviront beaucoup pour le logement social. Dés la fin des années 1940, l’état fera le choix du béton et des grands ensembles, enterrant le pavillonnaire jusqu’aux années Giscard, ou la construction en série prendra l’ampleur qu’on lui connaît….
Aujourd’hui, restent d’étranges petites maisons, témoins discrets d’une aventure ambitieuse qui a tourné un peu court. Soixante ans plus tard, alors que les dérèglements climatiques risquent de faire plus de ravages que les conflits du XXe siècle, architecture, urbanisme et modes de vie sont fortement appelés à se renouveler. Des cités d’expérience, plus audacieuses qu’un éco-quartier et où seraient confrontées toutes les solutions proposées ne seraient elles pas pertinentes ?
Marie-Françoise Laborde
Voir cette épopée urbanistique dans une extraordinaire vidéo.
Ce conservatoire exceptionnel pour l’histoire des techniques et de l’architecture mérite la visite. C’est possible, le samedi 12 mars de 14h à 17h.
Inscriptions obligatoires au 01 48 06 46 80. 10 € par personne.
Très intéressant!
Comme quoi dès 1945 il y avait des expérimentations qui nous auraient évité les barres de HLM!
Quid de l’amiante, cependant?
Ces maisons sont-elles toujours habitées?
J’ai habité la maison Arcadia pendant les années 90, elle a fait l’objet de visites organisées par architecture à vivre en 2010. Donc oui, beaucoup de maisons existent encore et sont habitées. Ce que le reportage ne montre pas, c’est la qualité des arbres fruitiers!