La petite salle Paradis du Théâtre du Lucernaire porte magnifiquement son nom. Il faut monter un nombre conséquent de marches, dépasser les mythiques théâtres “noir” et “rouge”, et terminer par un étroit escalier en colimaçon pour accéder à cette petite salle de quarante-six places située au niveau des combles, écrin idéal et chaleureux pour une pièce à un personnage retraçant la vie de Dorothy Parker.
S’y joue donc actuellement “Dorothy Parker ou excusez-moi pour la poussière” de Jean-Luc Seigle, dans une mise en scène très sobre et parfaitement efficace d’Arnaud Sélignac.
Dorothy Parker, née Rothschild (1893-1967), pour mémoire, est une femme de lettres américaine connue pour sa plume acerbe et son humour au vitriol. Se rêvant romancière, elle écrivit plus de quatre-vingts nouvelles, des poèmes – dont le célèbre recueil “Assez de corde pour se pendre” –, quelques pièces de théâtre et de nombreuses critiques littéraires et théâtrales pour des magazines de renom tels Vanity Fair, The New Yorker et Esquire. Surnommée “ The Wit” (“L’Esprit” ), elle fut, pendant les années folles, un des membres principaux du groupe littéraire “The Round Table Vicious Circle” qui se réunissait dans le Salon Rose de l’Hôtel Algonquin, à New York, dans la 44ème rue.
Ses amis appréciaient ses réparties cinglantes et désabusées. Dans les années quarante, comme de nombreux écrivains de son temps, elle fut scénariste à Hollywood et écrivit, le plus souvent en collaboration, comme c’était l’usage à l’époque, des scénarios de films tels que la version originale d’“Une étoile est née” de 1937 des réalisateurs William A. Wellman et Jack Conway, “La vipère” de William Wyler, “Cinquième Colonne” d’Alfred Hitchcock, “Une vie perdue” de Stuart Heisler et “L’Eventail de Lady Windermere” d’Otto Preminger. Très engagée politiquement, elle fut victime du maccarthysme et, par conséquent, inscrite sur la liste noire du cinéma. Cette chasse aux sorcières l’éloigna un temps des studios hollywoodiens.
La pièce “Dorothy Parker ou excusez-moi pour la poussière” retrace les dernières années de la vie de l’écrivain, de 1950 à la rédaction de son testament et de sa célèbre épitaphe qui donne son titre à la pièce. Elle débute donc en 1950 lorsque “Dottie”, chassée d’Hollywood et divorcée de son mari le comédien et scénariste Alan Campbell, vit seule à New York, à l’hôtel Volney. Espérant toujours écrire son roman, elle passe ses nuits à taper sur sa machine à écrire au grand dam des autres clients tout en vidant bouteille de whisky sur bouteille de whisky.
Le décor, tout en sobriété, est élégant et astucieux. Le plateau représente principalement la partie “salon” de la chambre de Dorothy au Volney avec sa précieuse machine à écrire et son téléphone. Le téléphone est l’accessoire principal qui relie le personnage au reste du monde et nous avec – Dorothy ne dit-elle pas d’ailleurs, les deux mots que j’ai le plus prononcés dans ma vie sont “allô” et “roman” ? –. Seule en scène, l’actrice Natalia Dontcheva parle via cet instrument à ses trois partenaires imaginaires : Charlie, le concierge de l’hôtel devenu l’ami confident, Alan, son mari, et Lillian, sa meilleure – et unique ? – amie.
La pièce est très judicieusement construite, évitant tous les pièges du monologue et de la linéarité. Faite de ruptures, de confidences permettant des retours dans le passé et de confessions à l’adresse du public, elle joue sur différents tableaux. On y reconnaît des phrases de Dorothy Parker lues ici ou là. L’hommage est d’une grande fidélité, l’esprit mordant et la plume assassine bien présents, la femme courageuse et politiquement engagée également – elle défendit Sacco et Vanzetti dans les années vingt, contribua à la fondation de la “ Hollywood Anti-Nazi League ” en 1936 et légua, à la fin de sa vie, ses droits d’auteur à Martin Luther King –.
Mais ce spectacle doit également et principalement sa réussite au merveilleux talent de Natalia Dontcheva qui ne cesse de nous faire passer du rire au serrement de gorge. Drôle, cynique, élégante – soulignons les très beaux costumes de David Belugou –, vacharde, pathétique, sa très grande sensibilité nous montre une Dorothy à nu, celle qui rata ses mariages comme ses suicides et ne réussit jamais à écrire son roman. Alors, pour reprendre et contrecarrer Dorothy Parker elle-même qui disait dans une de ses critiques théâtrales “ Allez au Martin Beck Theatre pour voir Katharine Hepburn décliner toute la gamme des émotions de A à B”, nous dirons “Courez au Lucernaire voir Natalia Dontcheva décliner toute la gamme des émotions de A à Z”. Un très beau spectacle à ne pas manquer !
Isabelle Fauvel
Au Lucernaire, du 20 janvier au 19 mars, du mardi au samedi à 19h :
“Dorothy Parker ou excusez-moi pour la poussière”, une pièce de Jean-Luc Seigle, mise en scène par Arnaud Sélignac, avec Natalia Dontcheva.
Le texte de la pièce est en vente à la librairie du Lucernaire.
Quelques lectures pour mieux connaître Dorothy Parker :
“ Comme une valse”, recueil de nouvelles de Dorothy Parker, Editions 10/18 “Domaine étranger”, 1992. N°2248.
“La vie à deux”, recueil de nouvelles de Dorothy Parker, Editions 10/18 “Domaine étranger”, 1998. N°1599.
“ Mauvaise journée, demain” recueil de nouvelles de Dorothy Parker, Christian Bourgois éditeur, 1999.
“ Articles et critiques” de Dorothy Parker, Christian Bourgois éditeur, 2001.
“Hymnes à la haine”, recueil de poèmes de Dorothy Parker, Phebus Libretto, 2010.
“L’extravagante Dorothy Parker ” par Dominique de Saint Pern, Grasset, 1994.
Et au cinéma :
“ Mrs Parker and the Vicious Circle ”, film américain d’Alan Rudolph, 1994 avec Jennifer Jason Leigh dans le rôle de Dorothy Parker.
Quel joli moment de théâtre, invitation à la lecture, découverte d’une actrice époustouflante, merci LSDP pour nous sortir des sentiers battus!