Lorsqu’il refait, après avoir fait mine d’hésiter, la « déco » de la Chapelle Sixtine, Michel-Ange souffre. Quatre ans de quasi-solitude laborieuse en raison de l’éviction de ses principaux collaborateurs, quatre ans couché, debout, l’ont laminé. Il voulait être connu comme sculpteur, le Pape Jules II l’embauche comme peintre et sous le manteau il écrivait des poèmes: une expression méconnue de son génie.
En 1948, une ombre de la littérature française, Marie Dormoy, en a traduit vingt-cinq (sur 300) dont une plainte en prose liée aux courbatures que valut à l’artiste le labeur, pinceau en main, de la Chapelle Sixtine.
On a retrouvé ce livret de Marie Dormoy, un ouvrage seulement tiré à 500 exemplaires en 1948. Et dans le troisième poème lié au plafond de la chapelle, Michel-Ange écrit qu’il a « attrapé un goître comme l’eau en fait aux chats en Lombardie » si bien que son ventre « finit par rejoindre son menton ». Un texte qui en dit long sur ses souffrances car il ajoute: « Les lombes me sont rentrées dans la panse, pour faire contrepoids mon cul est devenu une croupe, je marche sans que mes yeux puisse voir mes pieds et je risque de tomber ». Le peintre, sculpteur et donc poète, se représentera d’ailleurs dans un drôle de dessin, campé sur ses jambes, le pinceau pointé vers le haut.
Michel-Ange écrit aussi l’amour qu’il voue à une inconnue entre 1515 et 1516. Sentiments apparemment bafoués car il conclut à ce sujet un très court en poème en ces termes: « Mais s’il est vrai que l’absence puisse jamais faire oublier mon fidèle servage, je vous laisse mon cœur, qui n’est plus mien ».
Il écrira aussi des textes poétiques amoureux à l’adresse d’un certain Tomaso Cavalieri ou « Febo di Poggio » selon une précision imprimée en préambule et alors qu’il entretenait également une relation avec une dénommée et poétesse Vittoria Colonna. L’on pense que Tomaso Cavalieri n’était qu’un prête-nom, mais la double sexualité de Michel Ange, elle, n’est pas feinte lorsqu’il lui écrit: « Il faudrait freiner mon ardent désir afin de ne pas troubler ton beau visage serein. Je ne peux plus, tu as ôté le frein de mes mains et mon âme, désespérée, s’est enhardie ».
Cette poésie, sans doute pas magistrale, est une découverte car bien mieux que la peinture ou la sculpture, elle livre et délivre une personnalité qui nous fait découvrir un esprit libre et complexe, une sorte de Pier Paolo Pasolini avant l’heure, embringué dans un siècle bien moins facile qu’aujourd’hui pour un artiste à l’esprit libre comme lui.
« Certain de la mort, mais non de son heure », Michel-Ange vivra vieux, jusqu’à 88 ans. Sa plume était peut-être secondaire mais elle le révèle agréablement. Dans ses textes, la mort autant que l’amour, son impuissance face à ses deux composantes essentielles de l’existence, sont incessants. Ainsi, s’adressant à une dame, il lui chante « Je peux donc, dessinant nos visages, soit avec des couleurs, soit dans le marbre, nous rendre tous deux éternels », si bien continue-t-il, « que mille ans après notre mort, on pourra voir combien vous fûtes belle, combien je fus malheureux et que ce n’était pas folie de vous aimer ».
Ainsi s’exprimait parfois Michelangelo di Lodovico Buonarroti Simon, traduit par Marie Dormoy aux éditions Domat.
PHB
Je ne connaissais pas cette traduction, et pourtant qu’est-ce que j’ai travaillé sur la poésie de Michel-Ange… Loin d’une oeuvre secondaire, c’est un corpus de près de 300 compositions, surtout des sonnets. Un de ses contemporains disait de Michel-Ange poète que les autres disaient des mots, et lui disait des choses. Rilke l’a traduit.
Merci de cette précieuse lecture.
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