L’un des plus extraordinaires visages des albums de Lucky Luke est celui de Phil Defer. Car le dessinateur Morris lui a prêté, en 1956, les traits de Jack Palance. Avec ses pommettes bien saillantes, comme celles de l’acteur américain, le personnage de Phildefer représente un sommet dans l’art de la caricature. Tout ça pour dire que le héros qui tire plus vite que son ombre et surtout son auteur seront honorés dès le 28 janvier 2016 à l’occasion la 43e édition du Festival de la bande dessinée d’Angoulême.
Le prétexte en est que le personnage de Lucky Luke, apparu fin 1946 dans Spirou, fêtera en 2016 ses soixante-dix ans et quelque 200 millions d’albums vendus, traduits en une vingtaine de langues. A travers une exposition présentant beaucoup de planches inédites, l’idée est de rendre hommage à Maurice de Bevere dit Morris, né en 1923 et disparu en 2001.
Il y a de ça presque vingt ans, le scénariste belge Yvan Delporte (1928-2007) avait raconté dans un album l’histoire de Morris et notamment son départ pour les Etats-Unis alors que débutait la guerre froide en Europe. Une photo le montre dans un restaurant français de New York. On le voit tout en élégance, cravate et pochette, assis entre son épouse et un jeune débutant en nœud papillon qui s’appelait René Goscinny. Le dessinateur et le scénariste formeront, dans les plaines de l’ouest, un attelage comique extraordinaire.
Instructif, cet album d’Yvan Delporte, présente les débuts déjà impressionnants du futur Morris sur les couvertures de la revue « Le Moustique ». Entre autres choses objectivement drôles sur Morris il y a son activité consistant pendant plusieurs années à illustrer des récits à l’eau de rose. On y voit des personnages s’embrassant sans cesse avec des commentaires chamallows du genre : « Eva s’abandonna un bref instant à la douceur du baiser de Francis. Désormais elle se sentirait plus forte ». Morris avoue qu’ayant dessiné des scènes de baisers sous tous les angles possibles, il a fini par abandonner.
A Angoulême, les visiteurs pourront se délecter de planches noir et blanc si typiques du « lonesome cowboy ». Ainsi cette série de trois cases où dans la première Lucky Luke boit un Coca avec une paille, dans la seconde il dégaine et atteint son objectif tandis que la bouteille semble suspendue par miracle à ses lèvres et, dans la troisième, imperturbable il rengaine tout en reprenant sa bouteille de coca de l’autre main. Cette dextérité légendaire qui lui fit un jour couper une mouche en deux a toujours fait jubiler petits et grands.
Comme le raconte le journaliste Mathieu Lindon dans un portrait de Morris écrit pour le journal Libération (1), le père de Lucky Luke se soumettra au politiquement correct : son cowboy arrêtera de fumer, « les Chinois » cesseront « d’être tous blanchisseurs » et « les Noirs » verront « leurs lèvres s’amincir » . Pour ce qui est de la cigarette remplacée en 1983 par une brindille, Yvan Delporte relèvera avec pertinence qu’il était quand même curieux que la fumée de tabac choquât davantage que celle qui sortait des très nombreux revolvers à la manœuvre dans chaque aventure. Mais enfin.
On se régale d’autant plus à lire n’importe quel album que les transpositions au cinéma de Lucky Luke (la plus récente avec Jean Dujardin), au contraire d’Astérix, ont été à peu près ratées. Lucky Luke fait partie de notre patrimoine franco-belge et si d’aventure le sujet est lancé au cours d’un dîner, les références fuseront de part et d’autre de la table en sifflant comme les balles croisées des O’Timmins et des O’Hara dans le cultissime album, « Les rivaux de Painful Gulch ». Ouaip.
PHB
(1) Le portrait de Morris par Matthieu Lindon dans Libération
Très drôle! Je ne savais même pas que Morris était un Belge!
C’est vrai que Phil Defer ressemble à Jack Palance, qu’on retrouvera en chair et en os dans Le Mépris de Godard en horrible producteur yankee, alors que Fritz Lang joue son propre rôle….
LBM