Ils sont là, inconnus l’un à l’autre puis bien vite ivres d’amour. Une passion impossible, comme chacun sait, Juliette et Roméo appartiennent à deux familles rivales de Vérone, deux familles irrémédiablement ennemies.
Elle est Capulet, lui Montaigu. Tout le monde connaît l’argument de cette pièce mythique de William Shakespeare, dont la dernière apparition dans la salle Richelieu de la Comédie Française datait pourtant de 1952. Retour loupé. Ou plutôt imparfait, et on attend toujours ici la perfection.
Nouvel administrateur général de la Comédie Française, Eric Ruf signe la mise en scène. « Il y a un soleil noir dans cette pièce, c’est cela qu’il faut travailler » clame-t-il. On aurait aimé être ébloui par ce soleil noir, mais c’est le gris du clair de lune qui l’emporte. Gris du décor, de grands panneaux coulissants, gris de l’ambiance pas chaleureuse pour un penny. Les scènes de fête populaire où tout le monde chante et danse viennent comme le cheveu dans la soupe, on sourit jaune des scènes de meurtre où la poche de liquide rouge percée sous la chemise vient comme un étalage de ketchup (de sauce tomate, pardon), et même Juliette au balcon est bien malheureuse, sa main est visiblement retenue par un mousqueton, on voudrait donner l’effet du vide sans garde-corps, c’est loupé, la comédienne en est figée. Tout cela est fade, ou, plutôt, manque de fougue.
Votre serviteur avait déjà eu le plaisir de rendre compte de mises en scène de cette pièce pour Les Soirées de Paris en 2011 et 2013. La version 2015 est la moins réussie. Il y a quatre ans, Olivier Py à l’Odéon avait jeté dans la fosse aux lions un bouleversant Mattieu Dessertine, mémorable performance de comédien possédé par son rôle. Ambiance glaciale et moderne, merci pour ce moment.
Même constat deux ans plus tard en bord de Seine, avec pour écrin la Tour vagabonde inspirée du Globe londonien. De la vie, de la vigueur, capes et épées, par une jeune troupe qui s’en donnait à cœur joie. Le verdict est différent cette année. Eric Ruf, qui avait rendu pourtant une copie tourbillonnante de Peer Gynt dans le Salon d’honneur du Grand Palais, réfléchit trop cette fois. Il borde tout, rien ne dépasse. Il n’est certes pas aidé par les costumes sans relief de Christian Lacroix (à l’œuvre déjà sur Peer Gynt, avec cette foie ce grain de folie qui fait son charme), contraint par la transposition de l’action dans l’Italie du début du 20e siècle.
Restent, ce qui n’est pas rien, les comédiens. Si Jérémy Lopez est un Roméo un peu lunaire et de fait pas très percutant, Suliane Brahim incarne avec brio une Juliette à fleur de peau, perdue dans son corps comme dans son esprit. A leurs côtés, Didier Sandre en père Capulet crie sans cesse, sans que l’on puisse tout comprendre. Elliot Jenicot est parfait de bêtise en Pâris, tout comme Pierre-Louis Calixte en Mercutio et Laurent Lafitte en Benvolio, qui tentent de donner un peu d’élan à la représentation. Les pauvres, ils se débattent avec courage. Mais la grisaille l’emporte, le soleil noir est éclipsé par un clair de lune blafard, on plisse les yeux en vain. Dommage.
Byam