Histoire de migrants et autres histoires : Le soldat allemand qui aimait les fleurs et les Français

Familles Wurtz et Sillard. Source: Bruno Sillard« Ch’acques, Ch’acques ! », l’homme s’énervait sur la clochette, tambourinait la porte du jardin, il commençait à paniquer devant la porte fermée. Lui qui, en cette nuit d’octobre 1944 venait de traverser la France depuis Annemasse jusqu’à Thouars une bourgade poitevine, dans le nord des Deux-Sèvres, le voilà risquant de se faire arrêter par des policiers en maraude ou pire encore, de se retrouver nez à nez avec des résistants de la dernière heure, prêts à tout pour se donner une virginité.

« Jacques réveille-toi, on dirait que quelqu’un appelle ? ». « Nom de Dieu c’est quoi ce vacarme ? » Jacques sort de son lit, entrouvre la fenêtre. « Nom de Dieu, c’est Willy », dit-il descendant par l e petit escalier de service. Il prit au vol son paletot et sortit enfin. C’est ainsi que vêtu d’une veste, d’une chemise de nuit tombant à mi-mollet, chaussé d’une paire de mules dont les semelles résonnaient étrangement devant la grande façade, Jacques Wurtz offrit à un soldat déserteur de l’armée allemande l’image d’un Français mal réveillé ainsi que le gîte et le couvert.

Une histoire qui fut aussi une histoire de famille. Jacques et Madelaine Wurtz étaient mes grands-parents, Jacqueline, ma mère. Le département des Deux-Sèvres fut occupé par les troupes allemandes à partir du 21 juin 1940. La kommandantur s’installa à l’Hôtel de ville de Thouars le 28 juin. Faut-il en rire ou en pleurer, un de ses premiers décrets, datés du 29 juin 1940, fut pour interdire aux boulangers ainsi qu’aux particuliers de faire de la pâtisserie. Plutôt pleurer d’ailleurs, les Français n’auront ni pain ni brioche, les Nazis préparaient la pénurie. Pendant quatre ans Thouars vécut à l’heure allemande, en avance d’une heure par rapport à l’heure française.

Thouars sur la carte Michelin. Photo: PHB/LSDP

Thouars sur la carte Michelin. Photo: PHB/LSDP

Le soldat Willy Velden était probablement là dés le début de l’occupation. Que dire de Willy ? Lire « Le Silence de la mer » de Vercors, le monologue d’un officier amoureux de la culture française, suffirait en soi pour le comprendre. Willy aimait notre littérature, les fleurs aussi, il était fleuriste. Par quel hasard mon grand-père a-t-il rencontré ce soldat ? Avant guerre, Jacques Wurtz assurait l’entretien des toitures des monuments historiques, les sanitaires et les tuyauteries de l’hôpital aussi. Pour parfaire le tout il devait bien avoir une dizaine de chantiers ici ou là, il faut bien avoir matière à terminer un peu en retard.

Peut-être que Willy Velden aimait parler architecture et peut-être, comme il le fera pour moi, Jacques emmena-t-il Willy découvrir les trésors cachés du département, petite église aux colonnades tordues par le vent au lutrin magnifiquement sculpté. Et puis un jour, Willy lui montra une liste de jeunes qui allaient être arrêtés pour être envoyé au Service du travail obligatoire. C’est drôle mais à une trentaine de kilomètres de là, mon autre grand-père ignorant tout de la destinée du Poitevin a vécu ces années d’occupation, caché de ferme en ferme après une dénonciation anonyme.

Jacques Wurtz rentrait facilement dans les bureaux de la Kommandantur pour ses devis et factures. Willy pris l’habitude de lui transmettre régulièrement la liste des hommes qui allaient être convoqués pour le STO, ce qui leur permettait d’avoir le temps d’aller se cacher. Résistance dans toute son élégance, il sauva nombre de jeunes du pays sans jamais ne mettre la vie de ses camarades soldats en danger… Sauf la sienne dont la pire des morts l’aurait attendu. Mon grand père aussi.

1944, le front de Normandie cède enfin et Paris est libérée au mois d’août. On ne croise plus d’Allemand dans les Deux Sèvres, mais la poche de La Rochelle résistera jusqu’au 8 mai 1945 et le front d’Italie du Nord ne cédera qu’en Avril 45. Quel ordre et contre ordre ont conduit Willy à Annemasse. La Suisse est si proche et si inaccessible ! Il ne comprenait rien il n’avait plus de nouvelles des siens. Il trouva une valise, et partit, vers où ? L’Allemagne ? Non bien sûr. Thouars ? Il n’oublie pas la promesse du chef des FFI. Quand il appris que la garnison quittait Thouars dans les jours qui viennent le chef des FFI lui fit passer via le canal habituel : Quoique il arrive, je serais toujours là, s’il y avait un problème.

Octobre 1944, Willy parle, raconte, on ne comprend pas tout, il est fatigué. Mon grand-père a enfilé un pantalon. Il ne s’est nourri que de fruits. Disant cela, il réalise qu’il a eu de la chance de partir en octobre, les pommiers poiriers, vignes, pruniers lui offraient leurs étals et il y a toujours un point d’eau près des cimetières. Comme partout, à cette époque, on préparait la soupe pour la semaine. Madelaine  porte la cocotte au feu pour la réchauffer. Willy tremble, raconte, on ne comprend pas tout, il est fatigué. «  Willy dit-elle, vous êtes épuisé, vous nous raconterez tout ça demain. » Il avait voyagé en civil, un costume dans une valise qui ne l’a jamais quitté depuis Annemasse. A l’arrière de la maison, ouverte sur une cour, une pièce plutôt grande, la chambre de Clémence, une bonne disparue depuis si longtemps. Willy a du s’endormir immédiatement.

Ma grand-mère établit un plan de bataille. « Demain tu vas voir le commandant de la Place pour lui expliquer la situation… » Puis se tournant vers Jacqueline, «et toi, tu prétextes ce que tu veux mais tu ne fais pas venir des camarades à la maison. Un caillou à peindre en blanc, sa mère demandait à la petite Jacqueline de traîner dans les rues de Thouars ! La nature inquiète de ma grand-mère avait de quoi s’exprimer, même si les Deux-Sèvres n’ont pas connu une épuration massive que l’on a pu voir ailleurs, une dizaine de victimes, cinq femmes tondues, cinq de trop.

Mon grand-père rencontra à la première heure, le commandant de la Place. Il est hors de question de lâcher Willy dans la nature. Il lui faut des papiers, de l’argent et l’assurance qu’il puisse être pris en charge en Allemagne. En attendant la chambre de Clémence et les petits plats de Madelaine devraient suffire à son bonheur. Porte et porche du jardin d’ordinaire toujours ouverts dans la journée¸ restent fermés. Ma grand-mère s’en va coudre des rideaux occultant pour les fenêtres du rez-de-chaussée. Et Willy ? Il retrouve une discipline toute militaire, on sonne à la porte, vite il monte par l’escalier dérobé non sans débarrasser son assiette s’il était à table. Le soir, avec Jacques et Jacqueline, ils suivent l’avancée des armées alliées données par la presse ou la TSF. Sur la carte Michelin des drapeaux sont punaisés, les QG des divisions alliées ou ennemies. Des fils de cotons en couleurs montrent l’état du front. Jacqueline a quatorze ans, cette année commence la seconde langue obligatoire, l’allemand. Willy va la faire travailler. Un jour, elle arrive, insouciante du collège. Madelaine lui saisit le bras, Willy pleure. Il vient d’apprendre que son épouse et ses deux parents sont morts, une bombe avait pulvérisé la maison.

C’est bientôt l’été, Willy peut sortir, il ne risque plus rien. On va lui proposer de quitter la chambre de Clémence pour s’installer dans le bâtiment où sont installés les officiers. Une chambre pour chacun. La petite Jacqueline passe voir Willy régulièrement, il corrige ses devoirs d’allemand. Parfois c’est lui qui vient saluer Madelaine. Un jour il est arrivé avec un gros pot d’hortensias, il va en faire des boutures. Je me rappelle des gros massifs d’hortensias dans le jardin. Et puis un jour on lui apporta des papiers d’identité, de l’argent et un billet de train pour Düren, entre Cologne et Aix-la-Chapelle. On pleura beaucoup. Ils se sont écrit chaque année, ils se sont revus à deux reprises. Willy retrouva un travail à la bibliothèque, se remaria et puis le silence. On ne saura jamais pourquoi il risqua si gros pour sauver les enrôlés du STO.

Bruno Sillard

La famille Wurtz à gauche, Jacques, Madelaine et Jacqueline. Les fiancailles en 1950. avec la famille Sillard. Source: Bruno Sillard

La famille Wurtz à gauche, Jacques, Madelaine et Jacqueline. Les fiancailles en 1950. avec la famille Sillard. Source: Bruno Sillard

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5 réponses à Histoire de migrants et autres histoires : Le soldat allemand qui aimait les fleurs et les Français

  1. person philippe dit :

    Merci, Bruno

  2. Moulon dit :

    Merci de nous avoir conter, cette superbe histoire, qui m’intéresse, particulièrement, puisque qu’elle s’est déroulée dans ma ville natale !

  3. Lucas dit :

    Bonjour Bruno,
    A la lecture de votre article, une question me taraude à propos de vos grands-parents. Est-ce la même famille Wurtz qui tenait la quincaillerie à côté de l’église Saint-Médard et qu’on voit sur la photo ci-dessous.
    https://2.bp.blogspot.com/-eBdfSiTIBjU/WBDYRJf1NXI/AAAAAAAAEoA/iAKhceH6iLQkSROPPbVH3P8GYvR5t1NpQCLcB/s1600/THOUARS%2B%252879%2529%2B1920%2BLA%2BQUINCAILLERIE%2BWURTZ%2BSUR%2BLA%2BPLACE%2BSAINT%2BM%25C3%2589DARD.JPG

    Cordialement,

  4. bruno sillard dit :

    Je découvre tardivement votre courrier et je m’en excuse. oui la maison Wurtz fut une maison de la famille. La maison qui est à l’angle de la rue du Château, je crois également en revanche la maison rue du Château, contiguë à la précédente, on devine les colombages, fut vendue en 2017. Le patrimoine Wurtz appartient désormais à l’Histoire de la ville. Somme toute j’y contribue en la ranimant de temps en temps.

    bsillard@gmail.com

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