Quelque part dans une ville du Nord de la France, un procès de cour d’assises s’ouvre sur un cas d’infanticide. Michel Racine (Fabrice Luchini) est le président de la cour, respecté et craint dans son travail, moqué et critiqué dans sa vie privée. Un président à « deux chiffres », car réputé envoyer les accusés derrière les barreaux pour dix ans minimum. Le père (Victor Pontecorvo) que l’on juge ici, est accusé d’avoir tué son bébé à coup de rangers. Il nie inlassablement : « Je n’ai pas tué mon enfant. » On est tenté de le croire…
Voilà planté le décor d’un procès qui sert aussi de cadre à l’évocation des sentiments amoureux qui vont se (re)tisser entre un juge froid et arrogant (sauf lorsqu’il s’adresse aux témoins), et une femme médecin-anesthésiste, lumineuse et sensible, convoquée comme jurée.
Ces deux-là se connaissaient avant. Mais entre eux s’était produit comme un malentendu. Elle l’avait connu voilà six ans comme patient à l’hôpital ; il avait conçu pour elle un attachement immédiat, qu’il lui avait confié dans une lettre à laquelle elle n’avait pas répondu : « A quoi cela aurait-il servi ? » Leur première rencontre était donc une histoire d’amour pour lui, mais pas pour elle. Ils se retrouvent au gré du tirage au sort du jury d’assises le jour où débute le procès. Racine, l’homme, est troublé. Il lui demande d’accepter un rendez-vous après l’audience. Elle accepte sans hésitation.
Christian Vincent, réalisateur de « L’Hermine », retrouve Luchini vingt-cinq ans après « La Discrète ». Le rôle du juge Racine a été écrit en pensant à lui. Luchini campe un président de cour d’assises qui n’aime pas qu’on lui donne du « Monsieur le juge » qu’il rectifie aussitôt en « Monsieur le président ». Le côté agaçant de Luchini faisant du Luchini. En dehors de cette petite manie peu utile au récit, Luchini est plutôt bon : sans emphase, jamais dans la rhétorique… Et séducteur aussi (comme dans « La Discrète ») lorsqu’il donne rendez-vous à Ditte (Sidse Babett Knudsen) au café. Au spectateur de se souvenir alors de cet autre rendez-vous au café de la Mairie, où Luchini-Antoine s’était mis en tête de séduire « la fille immmmooonnde ».
Le personnage de Ditte est lumineux, quand celui de Racine est dans l’ombre. Les Français connaissent bien Sidse Babett Knudsen qui était Birgitte Nyborg, l’héroïne de la série danoise « Borgen » diffusée sur Arte. Sidse Knudsen parle couramment le français, presque sans accent (elle a vécu cinq ans à Paris). C’est comme ça qu’elle a décroché le rôle (et aussi parce que Christian Vincent est un fan de « Borgen » où il l’a remarquée). Elle « rêvait », selon son propre aveu, de tourner un film en France. C’est fait et, une chose en entraînant une autre, elle tourne actuellement dans un film d’Emmanuelle Bercot sur le Mediator.
En créant ce personnage féminin, Christian Vincent avait en tête Christine dans « La Règle du jeu » de Jean Renoir ; une femme dont un aviateur tombe éperdument amoureux parce qu’elle a simplement été aimable avec lui. « Alors en France, on n’a pas le droit d’être simplement aimable avec un homme ? » demande Christine (Nora Gregor) à Octave (Jean Renoir). « Non, on n’a pas le droit », répond-t-il. « Alors j’ai tous les torts. »
Christian Vincent, qui ne connaissait pas l’univers judiciaire, s’est documenté en assistant à plusieurs procès d’assises côté « cour », c’est-à-dire du côté des magistrats car souvent ces procès sont tenus à huis clos. Il a observé ce qu’il nous donne à voir dans son film, notamment ces échanges si particuliers entre les magistrats et les jurés pendant les suspensions de séances. Un président de cour peut donc s’entretenir avec les jurés, leur donner son avis sur l’accusé et possiblement orienter le leur, s’interrogera peut-être le spectateur. « Les jurés sont des citoyens tirés au sort qui participent, aux côtés des magistrats professionnels, au jugement des crimes au sein de la cour d’assises. Les jurés sont des juges à part entière », précise l’administration judiciaire française. Dont acte.
Au début, on a un peu l’impression de visionner un film documentaire sur le fonctionnement d’une cour d’assises (l’écueil est-il dû à trop de documentation ou est-ce parce que le film est tourné en quasi temps réel ?), mais cela s’estompe assez vite.
Dans cette cour d’assise, imaginée par Christian Vincent, on va à la rencontre de « vrais gens ». Le cinéaste filme l’accusé et les témoins au plus près d’une réalité plausible. « Je choisis des gens normaux, ou si vous préférez, des acteurs qui ne font pas acteur », dit-il. Ce n’est donc pas un hasard si l’on retrouve des comédiens qui ont l’habitude d’incarner des gens simples : ainsi de Candy Ming (ou Miss Ming) – elle est Solange dans « Mammuth » (1) de Benoît Delepine et Gustave Kervern, en 2010 – ; ainsi également de Corinne Masiero qui interprétait « Louise Wimmer » (premier premier-rôle pour Corinne Masiero et premier long-métrage pour son réalisateur Cyril Mennegun). Une belle réussite cinématographique de l’année 2012.
« L’Hermine » a été primé deux fois à la Mostra de Venise pour le meilleur scénario et la meilleure interprétation masculine. Fabrice Luchini n’avait plus décroché de prix au cinéma depuis son César 1994 du meilleur acteur dans un second rôle pour « Tout ça… pour ça! » de Claude Lelouch. Cela fait-il de « L’Hermine » un bon film ? La réponse est oui, car ici l’humain prend toujours le pas sur le tragique des situations. Quand bien même le fantasme prend un peu le pas aussi sur la réalité.
Quant au procès lui-même, et sans vouloir dévoiler l’intrigue, nous dirons qu’à la fin des audiences, parfois, il arrive que la vérité triomphe. Mais pas toujours. Et que le plus souvent, on ne la connaît pas.
Valérie Maillard
« L’Hermine », un film de Christian Vincent. Avec Fabrice Luchini, Sidse Babett Knudsen, Eva Lallier, Corinne Masiero…
Lire aussi la chronique des Soirées de Paris sur « Mammuth »
C’est vrai, les acteurs sont bons.
Un peu déçu toutefois ; Le metteur en scène nous fait partir sur plusieurs narrations sans issues :
Les cancaneries professionnelles
Les relations au sein des jurés d’assise
Le problème culturel des arabes
La tenue vestimentaire des femmes
La séparation d’un couple
L’infanticide
Les enquêtes mal conduites
Les relations mère-adolescente
L’amour chez les sexagénaires
Qu’a-t‘il voulu nous dire ? Votre conclusion probablement.
Une idée que je vais suivre. Merci. S.
Une robe taillée sur mesure pour Fabrice Lucchini !
Le réalisateur s’est me semble-t-il inspiré de la mécanique du procès d’Outreau (on est à St-Omer) ou comment une affaire peut déraper en raison de l’inexpérience et d’un certain parti pris.
Alors personnellement j’ai bien aime mais moi non plus je ne comprends pas l’engouement pour ce film, neanmoins je tiens a citer l’excellente performance de Fabrice Luchini qui sauve litteralement les meubles.