Qui sommes nous ? D’où venons nous ? Où allons-nous ? C’est par une immersion dans ce qui caractérise, sans la définir, notre humanité biologique et philosophique, que le nouveau musée de l’Homme entend répondre à ces trois questions fondamentales. Inauguré le 17 octobre dernier après six années de travaux de modernisation, l’établissement – toujours abrité dans l’aile Passy du palais de Chaillot, place du Trocadéro à Paris –, réapparaît métamorphosé aux yeux du public.
Métamorphosé de l’intérieur, et du point de vue architectural et muséographique, mais identique à lui-même de l’extérieur : le palais de Chaillot, conçu pour l’exposition universelle de 1937 dans le style « monumentaliste néo-classique » (et bâti sur les bases de l’ancien palais du Trocadéro de 1878), étant classé monument historique…
Répondre à ces trois questions, oui, mais comment ? A la première d’entre elles, la partie initiale de la nouvelle galerie de l’Homme oppose l’exploration de notre identité d’homme et de femme. L’humain est-il un être de chair, de pensée, de liens, de paroles ? Tout cela à la fois, comprend-on, sans qu’aucun de ces critères pris isolément ne suffise, cependant, à spécifier l’être humain. La découverte de ce qu’il est en tant qu’homme, que femme, occupe le visiteur pendant les deux tiers du premier niveau de la galerie. Il y découvre notamment qu’il existe 7000 langues parlées, mais qu’une sur deux n’est pas écrite. Qu’un enfant peut apprendre à parler parfaitement n’importe quelle langue, mais pas un adulte. Le visiteur peut entendre murmurer l’une ou l’autre de ces langues à partir d’un « mur de langues », sorte d’énorme planisphère interactive.
La découverte de l’Homme se termine avec l’observation de 91 bustes humains de plâtre ou de bronze, moulés sur le visage d’être vivants à l’occasion d’expéditions anthropologiques ; moulages censés représenter la diversité des peuples du monde au XIXe siècle. Soit une gigantesque guirlande (19 mètres de long) de têtes aux visages impassibles et aux yeux clos, qui pointe vers le ciel, disparaissant vers la mezzanine du second degré. Impressionnant.
Le dernier tiers du niveau 1 de la galerie est, lui, réservé à la présentation des différentes lignées humaines et répond donc à l’interrogation « D’où venons nous ? »
La lignée d’Australopithecus garhi nous révèle que l’évolution humaine n’est pas linéaire, mais en forme de buisson. Et que plusieurs espèces humaines cohabitaient, à la même époque, dans des zones géographiques différentes. Ça, nous le savions, mais ce que nous ignorions peut-être c’est que la même espèce pouvait se développer ici et disparaître là, au même moment.
Il faut lire quelques cartels, très didactiques, pour prendre connaissance de ces éléments-là, ou encore interagir avec des bornes disséminées le long du parcours. Lesquelles bornes ne sont pas destinées qu’aux enfants : à l’ère de « l’homo-numericus », nous sommes réputés préférer l’écran au texte écrit… En conséquence, le musée a laissé entrer les technologies dans ses murs : bornes, vitrines intelligentes, outils de morphing, vidéo, son, etc. De quoi intéresser tous les publics et réunir ici des familles entières, à l’image de ceux, nombreux et interagissant, présents le jour de notre visite.
Au niveau 2 de la galerie, et dans une pénombre propice à la contemplation tout autant qu’à la bonne préservation des objets, une « salle des trésors » présente de rares témoignages du Paléolithique supérieur (entre – 45.000 et – 10.000 ans avant notre ère). Parmi eux, la «Vénus de Lespugue» (découverte à Lespugue, Haute-Garonne, en 1922), une statuette sculptée dans le l’ivoire de mammouth et la plus célèbre des représentations féminines préhistoriques. Celle-ci a été installée dans une colonne de verre autour de laquelle le public peut tourner pour la contempler. Il s’agit là de l’un des biens les plus précieux du musée rendu accessible au public.
Cette projection dans des temps archéologiques nous amène sans transition, ou presque, vers notre époque moderne et notre avenir, à l’ère de la mondialisation et de l’anthropisation (1). Et, incidemment, à la problématique : « Où allons-nous ? ».
Ici, la réponse est davantage conceptuelle. Alors, et parce qu’il s’agit également de la dernière partie de la visite, il faut s’accrocher un peu pour ne pas… décrocher, justement. Mais l’intérêt est réel, et jusque-là tout a été fait pour capter l’attention du visiteur, alors, il se laisse embarquer.
Ici, un dispositif multi-écrans retrace les principes de la mondialisation depuis le Néolithique (eh oui, qui l’eût cru ?) ; une yourte franco-mongole témoigne de la réappropriation d’un habitat traditionnel en résidence de loisirs ; plus anecdotique, un bus sénégalais de type taxi-brousse invite à un voyage immobile (il en faut aussi pour les enfants) ; enfin, une table en forme de grain de riz présente l’histoire de la diffusion du… riz, dont la moitié de l’humanité dépend pour son alimentation, et les différentes façons de le préparer selon les cultures (récipients et odeurs de plats cuisinés à l’appui). Tout cela donne faim, bien entendu, mais il faut tenir encore un peu, la visite n’est pas terminée.
Car le plus intéressant ici, peut-être, est la façon dont on a voulu aborder la mondialisation, c’est-à-dire en regard de la réaffirmation de l’identité des peuples. Explication : alors que la mondialisation est plutôt vue comme l’homogénéisation des cultures (ah, oui ! la fameuse bouteille de soda), on découvre qu’elle réactive les particularités culturelles locales. L’arrivée de matériaux ou d’objets standardisés (par exemple, la fameuse bouteille) ne supplante pas toujours la fabrication ou l’usage des produits locaux et peut même les relancer. Et de découvrir en vitrine les objets du quotidien détournés pour l’usage des populations non indigènes (accessoires, vêtements etc.) ou, à l’inverse, la fameuse bouteille de soda réintroduite dans la confection d’amulettes et autres grigris…
La visite de la grande galerie de l’Homme s’achève avec le futur de l’humain. On y apprend que chaque individu est porteur de 15 à 130 nouveautés génétiques ; des mutations qui lui sont propres et dépendent du hasard de sa reproduction ou de l’environnement : climat, altitude, microbes, alimentation, etc. Rassurons-nous, les mutations les moins avantageuses pour l’humanité sont souvent éliminées, les plus avantageuses étant transmises aux générations suivantes !
Outre la grande galerie, deux autres espaces ont été créés : le Balcon des sciences et une salle d’exposition temporaire. Le nouveau musée de l’Homme est resté le « musée-laboratoire » qui avait été imaginé pour son ouverture, en 1938. Il demeure fidèle à sa vocation initiale en hébergeant 150 chercheurs chargés d’explorer la nature de l’Homme, son histoire et son avenir. Leurs découvertes sont présentées sur le Balcon des sciences (un vrai balcon au cœur de l’atrium).
L’espace réservé aux expositions temporaires présente en exposition inaugurale la chronique de la renaissance du musée de l’Homme (jusqu’au 13 juin 2016). L’occasion de découvrir, à travers de très nombreuses photographies et maquettes, les étapes de sa modernisation, du projet à sa réalisation. D’autres expositions thématiques sont programmées, au rythme d’une par an. Elles aborderont des sujets comme : des préjugés au racisme, l’homme de Néandertal ou encore l’alimentation. De quoi nourrir l’appétit du visiteur régulier.
Celui-ci peut d’ailleurs encore lire sur le fronton du palais, ces vers attribués à Paul Valéry qui désignent le musée depuis son installation à Chaillot :
«Choses rares ou choses belles
Ici savamment assemblées
Instruisent l’œil à regarder
Comme jamais encore vues
Toutes choses qui sont au monde.»
Valérie Maillard
(1) L’anthropisation, en géographie et en écologie, est la transformation des espaces, des paysages et des écosystèmes par la main de l’homme.
Musée de l’Homme, 17, Place du Trocadéro, Paris 16e.
« Images du changement climatique et du changement global ». Samedi 28 novembre, à l’occasion de la conférence mondiale sur le climat COP21, et dans le cadre de la mission du musée de l’Homme de veiller au respect et au maintien de la diversité et de l’universalité de l’humain et de son environnement, le Festival international Jean Rouch propose des projections de documentaires suivies de débats sur les conséquences du réchauffement sur les sociétés humaines dans le monde.
Programmation complète sur : www.museedelhomme.fr
Merci pour la visite, passionnante !