La thématique de l’érotisme suscite de nos jours à peu près autant d’émotion que le travail du canevas et du point de croix. Même lorsqu’il s’agit (ci-contre), d’une réalisation aussi délicate qu’indécente de Rodin. Lors de l’avant-première de l’exposition « Eros Hugo » à la maison de Victor Hugo, l’œil de la plupart des visiteurs était sec. Raffinées ou égrillardes, les œuvres présentées leur produisaient peu ou prou le même effet qu’un papillon de chou épinglé sur une planche d’entomologiste. L’émoi s’étiole, c’est l’époque qui veut ça.
Victor Hugo avait la réputation d’un insatiable amateur de chair, tout en cultivant la pudeur, attelage de contraires dont nous avons perdu l’intelligence. Sa « femme nue sous un manteau » résume parfaitement cette ambiguïté essentielle tout en faisant la démonstration de ses qualités de dessinateur que d’aucuns jugent supérieures à celles de sa plume d’écrivain.
Il est malaisé de discerner chez ce grand amoureux comment se répartit une sentimentalité fluviale pour Juliette Drouet, Léonie Biard, Blanche Lanvin et une sensualité tout en puissance qui allait irriguer de sa sève brûlante (allons bon, le style Hugo est contagieux) jusqu’aux bonnes qui travaillaient dans ses différentes maisons, celle de la place des Vosges ou mieux encore celle de Guernesey, où il fallait bien tromper l’exil dans un genre adultérin inédit.
A côté de choses graphiques dont la vocation était probablement d’émoustiller le regard, nous avons ici affaire et bien heureusement à de très belles réalisations avec notamment une bien apaisante surprise grâce à une odalisque de Corot réalisée à Rome ou encore un nu assez réussi de Théophile Gautier.
Les signatures réunies dans la maison de la place des Vosges l’ont été avec un sens de la disposition certain. Auguste Rodin (1), grand admirateur de Victor Hugo dont il fut un sculpteur posthume, est largement présent. Comment ne pas être saisi par la maîtrise de son trait, la façon extraordinaire dont il exhibe le corps féminin tout en restant suggestif et sur lequel il étale savamment des couleurs subtiles. Oui c’est bien la question que l’on se pose, quand le regard va tour à tour de l’œuvre jusqu’au regard de ceux qui passent devant, tels des experts philatéliques et vétilleux devant le cachet de la poste faisant foi. Inquiétant mystère.
Sous sa plume d’artiste peintre, Victor Hugo évoque davantage qu’il ne dénude. C’est vrai pour sa « silhouette de femme vue de face », ça l’est encore plus pour son « sub clara nuda lucerna », réalisé à la plume et lavis d’encre, où la femme est nue mais couchée de dos. Voilà toute la différence matérialisée entre une invitation et une provocation, une éventualité et une obligation.
Présentée jusqu’au 21 février 2016, cette exposition nous démontre que Victor Hugo, homme monumental, soignait aussi sa tension dans les plaisirs irrésistibles. On peut choisir de l’approuver secrètement, pour ne pas avoir à braver la réprimande immanente dont l’œil toujours ouvert nous juge encore et encore, depuis la jurisprudence Caïn. Ballots que nous sommes, tous jetés « comme la graine au gré de l’air qui vole » selon Victor.
PHB
Maison de Victor Hugo, 6 place des Vosges, jusqu’au 21 févier 2016
(1) Revoir l’exposition érotique de Rodin