C’est un lieu que l’on aime évoquer pour vous dans « Les Soirées de Paris ». La rue Cortot, dans le XVIIIème arrondissement de Paris, a observé nombre de peintres et amis de peintres qui connurent le tournant du siècle du XIXème au XXème. Cette époque – située comme un pont entre deux mondes –, a vu se modifier profondément la vie artistique et culturelle française. Pour nos contemporains, le 12 de la rue Cortot est l’adresse du musée de Montmartre.
Mais auparavant, Auguste Renoir y eut son atelier, tout comme Émile-Othon Friesz et Raoul Dufy. Suzanne Valadon et son fils, Maurice Utrillo, y vécurent et y travaillèrent, ainsi que les peintres Émile Bernard et André Utter.
Il demeure en ce lieu un esprit particulier. Comme si la présence laborieuse et vivante de tous ces personnages avait imprégné les murs des bâtisses et jusqu’aux vignes et jardins alentours. Et ce, en dépit de travaux d’embellissement et d’agrandissement de la maison du Bel air, la plus ancienne maison de la butte (XVIIème siècle) qui abrite le musée de Montmartre depuis les années 1960. L’endroit est caractéristique de la trépidante vie montmartroise de l’époque, car situé à proximité du Lapin agile, le rendez-vous phare des artistes avant-gardistes, et du Bateau-lavoir où évoluaient Pablo Picasso, André Derain, André Salmon, Max Jacob et Guillaume Apollinaire.
Le 17 octobre 2014, le musée de Montmartre inaugurait trois nouveaux espaces : l’atelier-appartement de Suzanne Valadon et Maurice Utrillo, l’Hôtel Demarne et le Café Renoir. De quoi donner au musée les mètres carrés supplémentaires pour accueillir des expositions temporaires de bonne ampleur. Après une exposition inaugurale (« L’Esprit de Montmartre et l’art moderne, 1875-1910 ») une deuxième exposition se tient actuellement : « Valadon, Utrillo & Utter à l’atelier du 12 rue Cortot ». Elle a été conçue dans le cadre du cent cinquantenaire de la naissance de l’artiste peintre Suzanne Valadon et a fait l’objet de prêts de peintures grands formats remarquables de la part des musées du Petit Palais de Genève et du centre Georges Pompidou, notamment.
En provenance des collections du musée de Montmartre sont présentés quelques beaux dessins de Valadon à l’encre, la pointe sèche et l’eau-forte – « Christiane » (1905) ou « Femmes s’essuyant » (1895) – réalisés, pour certains, sous l’œil attentif et bienveillant de Degas, qui s’intéressait au travail de Valadon et l’a initiée à la gravure en taille douce. C’est lui, également, qui l’a encouragée à se présenter à la nouvelle Société nationale des Beaux-Arts, où elle était alors la seule femme à exposer.
Une précédente et très complète exposition consacrée à Valadon et Utrillo avait été organisée à la Pinacothèque de Paris en 2009. A l’époque, tout le monde ou presque découvrait Suzanne Valadon peintre. Elle était surtout connue pour avoir été, dès ses seize ans, un modèle de Puvis de Chavannes, Renoir, Lautrec et même Modigliani – la danseuse dans « La Danse à la ville » et « La Danse à Bougival », de Renoir, ou la femme dans « La Gueule de bois », de Lautrec, c’est elle. Et puis, c’était la première fois que la mère et le fils étaient exposés ensemble, dans une sorte de confrontation de leur œuvre respective. Cette exposition nous racontait combien la mère avait pu surpasser le fils.
Le musée de Montmartre, même quand il fait l’objet d’une exposition temporaire de l’importance de celle qui nous est proposée sur le trio Valadon-Utrillo-Utter, se visite toujours comme une maison-musée. On y circule librement et personne ne vient interdire à quiconque de prendre une photo ni de s’approcher trop près d’un tableau On a donc un peu l’impression d’être comme chez soi, de profiter librement des œuvres et l’on s’y sent bien. Et, n’en déplaise aux agents zélés qui surveillent les œuvres de nos musées nationaux et celles des collections privées, tout se passe bien. Les visiteurs se comportent en êtres civilisés et aucun dégât n’est à déplorer.
A mi-parcours de l’exposition, on passe d’un étage à l’autre en pénétrant dans l’appartement de Suzanne Valadon et Maurice Utrillo, reconstitué à l’identique. C’est là qu’ils vivaient avec le peintre André Utter, le compagnon de Suzanne de vingt ans plus jeune qu’elle et, par ailleurs, ami d’Utrillo. C’est Utter qui va pousser Valadon à la peinture, domaine dans lequel il avait lui-même un certain talent – en témoignent le « Jardin de la maison d’Utrillo » ou l’étonnant « Portrait d’Edouard Barrat » (non datés) –, mais de quelques degrés inférieur cependant au talent de celle qui fut sa compagne, puis son épouse, pendant une quinzaine d’années.
La partie de l’exposition consacrée à Utrillo n’est pas aussi riche de toiles maîtresses. Cependant elle décrit assez bien, à travers les quelques tableaux et les nombreuses et très belles lithographies présentées, quel personnage mélancolique, tourmenté et alcoolique il était. Comme sa mère il était autodidacte, mais reste dans tous les domaines son double inversé.
Quand Valadon peignait avec des couleurs vives et chaleureuses des nus généreux dans des poses lascives, Utrillo racontait des paysages montmartrois, figés dans la torpeur, sur lesquels le jour semble ne jamais se lever et, surtout, dépourvus d’êtres humains… Dans son Eloge à Maurice Utrillo illustré par les lithographies de l’artiste, Renée Willy écrit : « Utrillo nous blesse. Sa peinture n’est pas de celles qui effleurent, qui séduisent par des moyens faciles. Elle nous livre le squelette des paysages, leur atrocité cachée par les brumes de l’habitude ». A partir des années 1920, la peinture d’Utrillo va évoluer vers des tons plus chatoyants (« Rue Seveste », 1923) et les personnages habiter enfin ses toiles. Dans la mémoire collective, il s’inscrit comme un digne représentant de l’Ecole de Paris et le peintre de Montmartre par excellence. « Chacun peint comme il voit, ce qui revient à dire que chacun peint comme il peut », disait Valadon. Il m’est avis que ces trois-là, chacun dans son genre, se débrouillaient plutôt très bien.
Valérie Maillard
« Valadon, Utrillo & Utter à l’atelier du 12 rue Cortot », musée Montmartre, 12, rue Cortot, Paris XVIIIème. Jusqu’au 15 février.
Merci Valérie,
je ne suis jamais allé au musée Montmartre car je croyais que c’était un truc folklorique à mettre en rapport avec le défilé des confréries que j’ai vu un samedi, il y a quelques semaines, en allant à la bibliothèque Robert-Sabatier (ex Clignancourt)…
Je vous remercie de me donner enfin l’envie d’y aller cet hiver !
J’ai toujours particulièrement aimé cet endroit et y ai vu de très belles expositions par le passé. J’ai donc hâte de voir ce qu’il est devenu après les travaux d’agrandissement. Merci pour ce très bel article qui donne envie d’y courir !