Focus sur la collection des princes de Liechtenstein à Aix-en Provence

"Les Collecteurs d'impôts" (fin des années 1520), de Quentin Massys. Photo: Valérie MaillardIssue d’une tradition de mécénat artistique vieille de cinq siècles et forte de plus de 1700 tableaux, la collection des princes de Liechtenstein sortait rarement des châteaux et demeures familiales. Quelques œuvres voyagent aujourd’hui (au Japon dernièrement et en Russie) et lorsqu’elles arrivent dans l’Hexagone pour la première fois de leur histoire c’est un événement. Depuis le 7 novembre, quarante tableaux en provenance d’une des collections privées les plus importantes au monde, tant en quantité qu’en qualité, sont présentés à Aix-en-Provence. Ils sont signés Cranach, Raphaël, Rubens, Van Dyck et Rembrandt.

Le Liechtenstein, héritier du Saint-Empire romain germanique, à la fois le plus petit (160 km2) et le plus riche des pays germanophones, a entamé avec son actuel souverain Hans-Adam II (né en 1945) une politique d’acquisition régulière de toiles anciennes et prestigieuses. Ceci, afin de compléter une collection dont la vocation sera d’être montrée à l’occasion d’expositions itinérantes. Cette volonté va de pair aujourd’hui avec la nécessité de faire connaître le Liechtenstein autrement que comme un ex-paradis fiscal – ce qu’il n’est plus, notamment depuis sa signature en 2013 de la Convention multilatérale sur les échanges d’informations en matière fiscale.

La sélection d’œuvres présentée à l’hôtel de Caumont d’Aix-en-Provence – qui propose là sa deuxième exposition, après un Canaletto fort réussi à l’été 2015 (1) –, s’étend du XVIème au XIXème siècle (de Cranach l’Ancien à Vigée-Le Brun). Elle est plutôt conçue de façon chronologique – la collection des princes de Liechtenstein, bien que très cohérente, étant assez éclectique. Saluons néanmoins la tentative du commissaire d’exposition de regrouper l’ensemble dans un parcours thématique qui n’a pas dû s’imposer de soi, et, malgré le peu d’œuvres présentées, fait courir l’exposition sur deux niveaux du magnifique hôtel de Caumont.

"Vénus" (1531), de Lukas Cranach. Photo: Valérie Maillard

« Vénus » (1531), de Lukas Cranach. Photo: Valérie Maillard

L’exposition rend hommage à des acquisitions très récentes. Parmi celles-ci, une très belle œuvre de Lucas Cranach : une « Vénus » de 1531 qui a rejoint les collections princières en 2013. A partir de 1509, Cranach L’Ancien peint plusieurs Vénus dénudées, souvent porteuses d’un message moral apparaissant dans le tableau sous forme d’une maxime écrite. Pour cette Vénus là, pas de texte écrit. Tout semble dit dans la scène, dans laquelle on cherche longtemps après l’avoir vue le message de moralité. Vénus se tient ici debout face à l’observateur qu’elle fixe droit dans les yeux. Elle n’est pas peinte selon les canons esthétiques de l’époque mais selon ceux qui étaient chers au peintre : elle est gracile et menue, et sa longue chevelure blond-roux tombe derrière ses épaules dans un ondoiement sensuel. Un voile transparent passe devant son sexe mais ne cache rien. Bien au contraire, il vient souligner sa nudité. L’ensemble, exécuté sur un fond noir, confère au tableau une certaine puissance érotique que n’ont pas d’autres « Vénus » que Cranach a peintes sur fond de paysage, en plaçant le spectateur dans l’intimité du sujet. Cette Vénus est admirable de beauté et de détails, mais n’est pas facile à observer car réalisée dans un tout petit format (38,7 x 24,58 cm).

Dans la salle où trône la « Vénus », un autre tableau capte l’attention : « Les Collecteurs d’impôts » (fin des années 1520) du peintre flamand Quentin Massys. Cette peinture sur bois témoigne du savoir faire des écoles nordiques dans le rendu réaliste. Ainsi, Massys restitue d’une manière très fidèle l’étain du chandelier, la feuille parcheminée du livre de comptes, le pli des vêtements, le brillant des pièces de monnaie et celui des bijoux. Au centre du tableau un personnage, l’admoniteur, invite le spectateur à participer à la scène en le regardant. Sardonique, il pointe du doigt ce qui les occupe son compère et lui : le décompte de leur précieuse collecte.

La collection privée des princes de Liechtenstein totalise trente-cinq Rubens ce qui fait d’elle l’une des plus richement dotées (à titre de comparaison le Louvre en détient une cinquantaine). Ici, deux grands formats de Rubens sont présentés mais, et c’est un avis purement subjectif, ce ne sont pas les plus beaux que le peintre a réalisé dans ses ateliers. « Mars et Rhéa Silvia » (vers 1616-1617) est accompagné de son modello, c’est-à-dire l’esquisse à partir de laquelle les élèves de Rubens ont exécuté la toile en grand format sous l’égide du maître. Il est de notoriété que plusieurs collaborateurs intervenaient dans les tableaux signés Rubens, l’un peignant les personnages, l’autre les natures mortes ou les animaux, un troisième les paysages… Dans ce modello de Rubens la touche est enlevée, le mouvement bien rendu (Mars se précipite avec brusquerie vers Rhéa Silvia qu’il veut conquérir). Rubens y révèle son art bien davantage que la version grand format ne révèle l’art de Rubens. Sans conteste, le modello est plus réussi.

"Fleurs dans un vase de porcelaine avec un chandelier et des récipients en argent" (1839), Waldmüller. Photo: Valérie Maillard

« Fleurs dans un vase de porcelaine avec un chandelier et des récipients en argent » (1839), Waldmüller. Photo: Valérie Maillard

Deux peintres, élèves et prestigieux collaborateurs de Rubens, figurent dans les acquisitions anciennes du Liechtenstein. Il s’agit de Van Dyck et de Snyders, deux tenants de l’art baroque flamand. Ils ont tous deux fait une brillante carrière, sortant sans difficulté de l’ombre de leur maître. Les hollandais Frans Hals et Rembrandt, deux portraitistes de génie ayant renouvelé le genre à merveille, sont entrés eux aussi très tôt dans les collections princières.

Le deuxième étage de l’exposition fait la part belle aux portraits de princes et de princesses. Mais ce sont devant les natures mortes de Jan van Huysum – bouquet de fleurs dans un vase en terre cuite (1725) – comme ils l’ont fait pour celles de Jan Davisz De Heem et de Ferdinand Georg Waldmüller au premier niveau (deux grands spécialistes du genre et maître absolus fort prisés de leur vivant), que les visiteurs s’arrêtent le plus longuement.

Juste avant la sortie, un texte signé par le prince régnant de Liechtenstein invite le visiteur jusqu’à Vienne pour voir le palais Liechtenstein fraîchement restauré. Celui-ci abrite des œuvres aujourd’hui trop fragiles où bien trop imposantes pour être transportées. Voilà, en forme de remerciement, une invitation bien tentante…

Valérie Maillard

(1) Lire aussi

« Les Collections du prince de Liechtenstein », hôtel de Caumont, 3, rue Joseph Cabassol, 13100 Aix-en-Provence. Jusqu’au 20 mars 2016.

Esquisse pour "Mars et Rhéa Silvia" (vers 1616-1617), Pierre Paul Rubens. Photo: Valérie Maillard

Esquisse pour « Mars et Rhéa Silvia » (vers 1616-1617), Pierre Paul Rubens. Photo: Valérie Maillard

 

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