L’Institut du Monde Arabe sert d’écrin à l’exposition “Osiris, mystères engloutis de l’Egypte“. Le plus humain des dieux du panthéon égyptien s’est fait bernard-l’hermite dans les méandreux volumes de ce coquillage de verre et d’aluminium.
Osiris ? Le sujet Egypte est du genre rebattu… Et le nombre des pièces présentées à l’IMA (moins de trois cents) s’avère plus que modeste… Mais la plupart proviennent des fonds marins, là est l’intérêt de leur exhibition. On imagine moins des trésors de l’Egypte antique dégagés des profondeurs maritimes, plutôt que des sables du désert. Et ces œuvres remontées à la surface de l’eau après une immersion multiséculaire nourrissent tous les fantasmes. Aux Mystères d’Osiris s’ajoute l’énigme des cités englouties.
Mystères, vous avez dit mystères ? Pour renaître chaque année à la vie, le dieu fondateur de la civilisation égyptienne menait double vie. Chaque année, lors des cérémonies présidant à sa renaissance, étaient fabriquées en parallèle deux figurines à son image. L’une était constituée d’un broyat de résines, de dattes et de pierres précieuses, l’autre faite de graines de céréales à germer amalgamées au fertile limon noir du Nil. Emmailloté, cet Osiris végétal était déposé dans une cuve en pierre et constamment arrosé avec l’eau du fleuve. Les grains d’orge, de blé et de lin venaient à germer, augurant l’abondance des récoltes à venir. A l’IMA, la mystique se nourrit de concret. Une volumineuse cuve-jardin en schiste a été remontée du sanctuaire de Thônis-Héracléion (cité engloutie proche du port d’Alexandrie). La notice illustrée qui l’accompagne explicite cet aspect du cérémonial mieux qu’une planche de BD pour jardinier en herbe.
Des rituels précis présidaient au façonnage des deux effigies osiriennes dans le secret des temples. A l’abri des regards profanes, d’où leur dénomination de Mystères. Une fois séchées au soleil et momifiées, les figurines étaient chargées sur une barque sacrée qui empruntait le Nil pour relier Thônis-Heracléion à Canope.
Il n’est pas difficile d’imaginer cette procession nautique d’un peu plus de trois kilomètres entre temple et sanctuaire. En prêtant l’oreille, on peut même entendre le bourdonnement des prêtres psalmodier leurs prières. Leurs incantations couvrent à peine le clapotis de l’eau sous l’embarcation chargée d’offrandes. Une foule animée et joyeuse longe les berges, tandis que retentissent flûtes, sistres et cithares et que l’encens s’élève dans l’éther incroyablement pur. On a repêché dans la baie d’Aboukir, à quelque six kilomètres des côtes, des vestiges attestant ces cérémonies religieuses. Ils étaient enfouis depuis une quinzaine de siècles, vraisemblablement à la suite à un tremblement de terre suivi d’un raz de marée. Amulettes, lampes à huile, encensoirs, brûles-olibans et plats à offrandes jalonnaient le parcours comme autant de petits cailloux sacrés laissés par un petit Poucet magico-mystico-mythique.
L’exposition ne prétend pas vouloir percer tous les mystères d’Osiris, ce drame sacré symbolisant le cycle de la nature qui se perpétuait chaque année dans le delta du Nil. Le pourrait-elle, d’ailleurs, les livres du Rituel des Mystères étant confus et contradictoires sur de nombreux points. Qu’importe, mieux qu’un récit circonstancié estampillé authentique, l’IMA convie le visiteur au ressenti d’une émotion à l’évocation du cérémonial présidant au renouveau du dieu bienfaisant. La scénographie utilisée est efficace, alternant immersions/émersions au fil des vitrines. Avec l’éclairage, l’eau – symbole de la renaissance – affirme sa présence. La lumière suggère tantôt la limpidité azurée de la Méditerranée, tantôt l’opacité verdâtre du Nil reconnaissable au point d’avoir donné son nom à la couleur, sa symbolique à la régénération.
Aux deux cent cinquante pièces exposées au terme d’une décennie de fouilles archéologiques marines, s’ajoutent une quarantaine d’œuvres provenant des musées du Caire et d’Alexandrie. Certaines sont sorties d’Egypte pour la première fois. Des pièces de monnaie et des statuettes miniaturisées en bronze en très bon état méritent qu’on s’y attarde. Leur examen (à la loupe) témoigne d’une élégance de dessin et d’une finesse de trait ravalant la robustesse du linéaire gaulois au rang de croquis de maternelle.
Avec l’évocation de la vigne, du vin et de l’ivresse -compagnons obligés des commémorations réussies- le mythe fondateur de l’Egypte prend une tournure “trans- civilisationnelle“ si ce n’est éternelle. L’Egyptien se trouve en bonne compagnie, aux côtés du grec vinicole Dionysos (lui aussi démembré et retourné à la vie) et de sa version romaine Bacchus. Egyptiens, Grecs ou Romains, nos ancêtres avaient de l’appétence pour la dive grappe… Des coupes décorées de ceps et de sarments, des vases à boire aussi érotiques qu’une estampe japonaise rappellent au visiteur qu’il n’est pas que l’eau du Nil pour parfaire les réjouissances. Il arrivait que le délire mystique s’accompagne de libations orgiaques. Dionysies, phallocraties et bacchanales ont laissé leur nom à la postérité. Sans aller jusque là, Noé le patriarche biblique suivit la mauvaise pente qui, au terme de quarante jours de pluies diluviennes, se saoula sitôt le pied touchant la terre ferme. On peut comprendre qu’il ait souhaité en finir avec l’eau , il mérite l’indulgence.
Avec l’égalité de traitement hommes/femmes, il est hors de question de traiter d’Osiris sans évoquer Isis. Isis “aux mille noms“, mère nourricière et génitrice d’Horus le dieu à tête de faucon, sœur-épouse aimante à la fidélité acharnée d’une Pénélope. Mille noms… et mille-et-une représentations. Deux silhouettes figurent la déesse avec une forte puissance d’évocation, l’une en schiste sombre au poli aussi impeccable qu’une sculpture de Pompon, l’autre plus élaborée en diorite ébène. Qu’il soit permis de préférer Isis en volatile ranimant d’un battement d’aile le membre viril de son époux gisant sur sa couche funèbre plutôt qu’en hippopotame pansu aux mamelles tombantes. Y a-t-il plus belle allégorie de l’amour conjugal éternel que cette oiselle s’activant sur l’époux remembré après qu’il ait été éparpillé façon puzzle par un frère jaloux ?
Guillemette de Fos
A propos de Horus, dont parle Guillemette, son frangin jaloux l’avait tué puis découpé en quatorze morceaux. Isis les récupéra enfin sauf un qu’avait boulotté un poisson. Isis couvrit de ses ailes Horus, lui redonnant vie, force et trône royal.
Donc un guide en Egypte, m’avait fait remarquer que l’on pouvait y voir ce qui sera l’immaculée conception chez les chrétiens. Dans la même lignée, le sphinx n’est- il pas l’ange sans sexe…