L’augure promena son doigt encore sucré de confiture entre les intestins du poulet. Vu le nombre de polypes qu’il put observer, il trouva là le prétexte de froncer les sourcils. Damianus s’inquiéta de cette grimace. En ce mois de juin de l’an 12, il n’avait pas plu depuis deux mois. Ses yeux étaient rivés sur l’augure en attendant une déclaration porteuse d’espoir et de soulagement. Malheureusement le devin avait tout l’air de celui qui réfléchit sur la façon d’annoncer une mauvaise nouvelle.
Pourtant savant et même enseignant, Damianus perdait ses sandales dès qu’il s’agissait de climat. Il avait planté quelques arpents de vigne au pied du volcan et même fait venir un peu de terre arable afin de favoriser la pousse, mais ses cèpes depuis plusieurs semaines, desséchaient. Encouragé par sa femme, il avait donc prélevé une jeune poule de sa basse-cour et apporté un pot de confiture en prime afin d’amadouer celui qui avait l’oreille des dieux. Sans compter un peu de monnaie qu’il faisait tinter mine de rien au creux de sa main.
L’augure exhala un soupir qui ne présageait rien de bon et finit par parler. Il ressortit de son discours que les dieux étaient courroucés. « Vous, dit-il en amplifiant sa voix rauque et en embrassant la ville du bras, « vous » , répéta-t-il, « ne pensez pas assez à votre travail et beaucoup trop à vous détendre ». Le message divin, transmis par l’homme de l’art était implacable. Damianus, ses voisins, les habitants de son quartier, ceux de la ville et même de la région entière, dérangeaient par leur mode d’existence insouciant, les grands équilibres célestes. « Les dieux n’aiment pas ça » gronda l’augure, en faisant tournoyer son doigt.
Damianus se sentait porter la culpabilité de tous les siens. Dans un geste expiatoire témoignant de sa volonté d’amendement, il lâcha sur la table sa poignée de pièces de bronze. L’augure en évalua rapidement le montant et ferma les yeux de telle façon qu’il entendait imposer le silence. Ses deux mains jointes à la perpendiculaire de son nez, il exprimait la concentration de l’homme soucieux de tout bien passer en revue avant de prononcer son oracle.
« Reviens la semaine prochaine, porte moi un autre poulet, ajoute du fromage et du vin , l’argent ne sera pas nécessaire mais on ne sait jamais…, car je vois la fin de tes ennuis sur la ligne d’horizon et aussi la pluie qui s’approche, mais attention, si ta vie et celle des tiens n’est pas davantage austère, le malheur pourrait s’installer durablement et l’été qui arrive devenir une fournaise où tout le monde périra.»
L’augure se frottait les mains. Quel métier facile. Tout ce qu’il prédisait se réalisait et quand par extraordinaire ce n’était pas le cas il invoquait une faute propre au requérant. La seule chose que ce prophète jovial et bon vivant dans le privé ignorait, c’est combien de temps les hommes seraient assez craintifs et naïfs quant aux aléas du climat avec l’idée que moyennant différents moyens, (offrandes, sacrifices, célébrations…) ils pourraient influer sur les nuages ou le soleil.
Mortel, l’augure finit comme tout le monde par passer chez les esprits. Ce qui lui permit de voyager et de mesurer l’ampleur et la pérennité des superstitions liées au temps qu’il fait. C’est ainsi que le 30 novembre 2015 il fit escale à Paris où se réunissaient la plupart des gouvernants du monde très inquiets d’un coup de chaud à venir. Le grand prêtre s’appelait Fabius ce qui lui rappela le nom d’un de ses copains augures, du temps où lui-même prévoyait l’avenir et plus exactement la pluie et le beau temps, au pied d’un grand volcan entouré de vignes.
PHB
Une jolie histoire pleine d’humour en guise d’avant-propos à la fameuse conférence. Merci et bravo !
J’ai bien ri. Damianus, Diaforus et la rime qui ne s’arrête pas là.
Ah si la COP 21 pouvait être un aussi joli conte!
Hélas Paris et le gouvernement se parent de bonnes intentions, mais laissent dénaturer et bétonner le Jardin botanique des Serres d’Auteuil par un stade de tennis de 5000 places ou amputer le parc de la Courneuve par des logements, tandis que malgré les promesses gouvernementales, l’Etat veut démarrer les travaux à Notre-Dame-des-Landes avant que les recours ne soient purgés…
Triste COP21….
Lise Bloch-Morhange, porte-parole du Comité de soutien des Serres d’Auteuil