Sans être ni trop graphologue ni trop psychologue, il est tout de même permis de déceler dans les œuvres de jeunesse de Guillaume Apollinaire des signes de précocité et de prédisposition, eu égard à ce qu’il est devenu plus tard. Cet « album de jeunesse » qui vient de sortir chez Gallimard est un carnet rempli de dessins et de textes par celui qui avait entre 13 et 15 ans, soit presque la moitié de sa vie puisqu’il est mort à 38 ans en 1918.
Ce carnet a été scanné tel quel, dans son état de conservation, issu des rayons de la bibliothèque du bibliophile Pierre Bergé. Celui qui est aussi un homme d’affaires ne perd jamais tout à fait le nord puisque dans le préambule, il en profite pour annoncer la vente de certains de ses trésors prévue au mois de décembre. On ne sait si cet album fera partie des lots mais en tout cas c’est une chic idée d’en faire profiter les amateurs de l’écrivain pour une poignée d’euros.
L’intérêt de ce livre est qualifié d’exceptionnel par Pierre Caizergues qui signe la notice explicative en fin d’ouvrage. Cependant, cet universitaire spécialiste d’Apollinaire souligne que l’on ne peut pas parler ici d’une œuvre d’Apollinaire en raison de son caractère « hétéroclite » où « se mêlent poèmes et dessins ». Ce qui est indiscutable en tout cas c’est que l’album est signé W. de K pour Wilhelm de Kostrowitzky soit l’identité originelle de l’écrivain né à Rome en 1880. Mais il s’agit bien du même bonhomme.
Le futur Guillaume Apollinaire est alors dans un collège de Monaco. Certains de ses dessins sont porteurs de cette géographie méditerranéenne et de son contexte scolaire et familial.
Dans cet album assez touchant, on retiendra au moins deux pages. D’une part le poème intitulé « Minuit » où se mêlent déjà texte et dessins, préfigurant on peut l’avancer, ce qui deviendra bien plus tard, ses idéogrammes et calligrammes. Sur cette page exprimant une ambiance tout à la fois onirique et déjà indubitablement poétique, les mots sont positionnés dans le dessin comme sur un tracé, alors que dans les idéogrammes et calligrammes les mots assemblés seront constitutifs d’une forme expressive. Mais ce début de travail d’adolescent est frappant par sa mise en scène, son atmosphère et ses symboles.
Il y a une autre page beaucoup plus sombre, elle aussi cloutée de nombreux symboles, qui se termine par une phrase rédigée en anglais : « I’gin to be aweary of the sun » (je commence à être las du soleil). Selon Pierre Caizergues qui cite Etienne-Alain Hubert à ce sujet, la citation est tirée du Macbeth de Skakespeare. Disons qu’elle exprime bien le vague à l’âme de l’adolescent et peut-être plus tard celui du « guetteur mélancolique » observant « la nuit et la mort ».
C’est bien là tout le mérite de cet album que de nous nimber de ces rêves d’enfant transcrits sur le papier par le futur auteur de « Zone ».
PHB
Guillaume Apollinaire, « Un album de jeunesse ». Gallimard. 17,50 euros. Mise en vente le 8 octobre.