Ecrire ses souvenirs de peintre lui a pris une douzaine d’années. C’est dans un souci de contrôler sa postérité, alors qu’elle avait été si souvent calomniée de son vivant, qu’Elisabeth Louise Vigée Le Brun entama en 1825 l’écriture de ses mémoires (1). Pour l’inciter à s’y mettre, ses proches lui auraient glissé que si elle ne le faisait pas elle-même « on » les rédigerait à sa place et « Dieu sait ce que l’on écrira ! » (2). Elle s’y mit et commença leur rédaction à partir de lettres qu’elle avait échangées avec des amis qu’elle comptait parmi les grands de quelques cours d’Europe, dont elle avait sans doute brossé le portrait de la main d’experte qu’on lui sait.
A l’occasion d’une première rétrospective française, le Grand Palais rend hommage à une artiste peintre (1755-1842) qui naquit sous le règne de Louis XV, mourut sous celui de Louis-Philippe et vécut l’une des périodes les plus chahutées de notre histoire. L’exposition réunit 130 œuvres d’Elisabeth Vigée Le Brun, toutes techniques (huile, pastel, aquarelle, crayon…) et supports confondus. S’y ajoute quelques sculptures ou tableaux d’artistes de ses contemporains à qui elle avait demandé de lui saisir le portrait. Elle-même a peint de nombreux autoportraits pendant sa (très) longue carrière – près de soixante-dix ans d’exercice !
Née en 1755, à Paris, dans un milieu artistique (son frère est poète ; son père, peintre pastelliste et son oncle, sculpteur), Elisabeth Vigée hante très vite l’atelier paternel où elle s’essaie aux craies et aux pinceaux. La figure du père, tôt disparu – à propos duquel elle écrira dans ses mémoires qu’il « peignait fort bien au pastel ; il y a même des portraits de lui qui seraient dignes du fameux Latour [Quentin de La Tour, ndlr] » et qu’il faisait aussi « des tableaux à l’huile dans le genre de Watteau » –, comptera d’autant plus qu’il l’encouragera très tôt dans la voie artistique. A 13 ans, Elisabeth reçoit ses premières commandes ; son père est décédé depuis un an d’une septicémie. Un peintre, ami de la famille, conseille à la jeune fille de ne suivre « aucun système d’école ».
Elle sera pourtant admise à l’Académie de Saint-Luc, corporation des maîtres peintres et sculpteurs, à une époque où les femmes étaient tenues à l’écart des cursus de formation avec interdiction notamment d’étudier le corps nu, étude pourtant indispensable à la connaissance de l’anatomie humaine. Qu’a cela ne tienne, Elisabeth croquera des sculptures de plâtre dans l’atelier du peintre Gabriel Briard. Puis elle entrera à l’Académie royale de peinture grâce à l’intervention du roi Louis XVI, alors qu’elle n’y a pas droit car elle est mariée au marchand d’art Pierre Le Brun et que l’académie interdit « tout contact avec les professions mercantiles ». A cette époque Elisabeth, qui n’a pas atteint vingt-trois ans, a déjà réalisé le « Portrait de Marie-Antoinette en grand habit de cour » (1778), devenant ainsi portraitiste attitrée de la reine.
Dans cette exposition, on découvre à travers une série de portraits très enlevés que Vigier Le Brun maîtrisait tout à fait la technique du pastel que lui avait enseignée son père. Dans les années qui précédèrent immédiatement la Révolution, Elisabeth donna elle aussi des cours de peinture et de dessin à des femmes parmi lesquelles quelques unes ont fait carrière. Des portraits à l’huile d’élèves d’Elisabeth ainsi qu’un portrait au pastel de Louis Vigée « Femme à mantelet bleu » (1745) sont aussi visibles dans l’exposition.
Contrainte de fuir après les journées révolutionnaires des 5 et 6 octobre, Elisabeth Vigée Le Brun part pour l’Italie et pour un exil qui durera bien plus longtemps qu’elle ne le voulait. Sous la Révolution – période durant laquelle elle sera déchue de ses droits civiques et de sa nationalité pour avoir émigré à l’étranger –, elle va voyager loin en Europe, exerçant sans relâche son métier de peintre pour assurer son train de vie et celui de sa fille. Elle voyage avec quelques uns de ses plus beaux portraits réalisés en France pour assurer en quelque sorte sa promotion. Elle accumulera commandes et succès aussi bien à Rome, qu’à Vienne et jusqu’à Saint-Pétersbourg.
La peinture pendant l’exil et après le retour à Paris d’Elisabeth Vigée Le Brun occupe la moitié de l’espace consacré à l’exposition. A ce sujet, un mot de la scénographie : des espaces ont été créés pour figurer un intérieur bourgeois du XVIIIème mais sans le décorum (moulures, dorures…) associable à cette époque. Une percée dans les cloisons séparatives laisse entrevoir une enfilade de salles et, dans le fond, de grands tableaux peuvent s’observer de loin comme ils étaient vus dans les salles immenses des hôtels particuliers ou à Versailles au XVIIIème siècle.
Développant puis affirmant son style entre modernité et tradition, Elisabeth Vigée Le Brun a assis son succès sur une grande maîtrise de sa technique dans l’huile comme le pastel. Si elle pouvait passer parfois moins de temps sur des commandes qu’elle jugeait mineures elle en soignait d’autres. Elle pouvait avoir une touche très enlevée (elle a parfois été comparée à celle de Fragonard) ou au contraire léchée, presque « hyperréaliste ». De son œuvre se dégage une cohérence picturale indéniable, un peu comme si elle avait été produite en dehors du temps.
Elisabeth Vigée Le Brun fut, et reste, critiquée. Fait rassurant, elle a aussi de très grands admirateurs. Simone de Beauvoir dans « Le Deuxième sexe » frappait Elisabeth Vigée Le Brun d’anathème en la qualifiant de femme narcissique fixant sur ses toiles sa « souriante maternité ». Si Elisabeth Vigée Le Brun ne fait pas l’unanimité, son œuvre, elle, devrait rassembler au Grand Palais car l’exposition est somptueuse. Cette première rétrospective française tend à la réhabiliter et, au vu du bruit médiatique et du nombre de visiteurs, l’objectif pourrait être vite atteint.
Elisabeth Vigée Le Brun, qui affirmait « n’avoir eu de bonheur qu’en peinture », est décédée en 1842 à l’âge de 87 ans au bout d’une bien longue carrière et d’une vie intranquille. Sur sa tombe à Louveciennes il est écrit : « Ici enfin je repose. »
Valérie Maillard
(1) « Souvenirs de madame Louise-Elisabeth Vigée Lebrun », en trois volumes dans sa première édition à partir de 1835. Elisabeth Louise Vigée est bien son nom de naissance, mais à partir de 1782 elle inverse l’ordre de ses prénoms. Par ailleurs il était d’usage au XIXème d’accoler les noms composés de deux mots Le-Brun (Lebrun).
(2) Gallica, le site en ligne de la BNF permet l’accès aux tomes I et II de ses écrits qui en comptent trois :
Merci Madame de votre essais qui pour le moins tombe « à pic » puisque profitant des nocturnes du vendredi, je m’y suis rendu hier et là: j’en suis encore tout ébloui de la magie, de la maîtrise, de la sensualité, de la beauté des oeuvres de l’artiste. J’eus pour maître un pastelliste qui aurait tant aimé déambuler comme je le fis. Je vous rejoins quant à la place que doit occuper Elisabeth Vigée Le Brun dans l’histoire de l’art et surtout dans celle du genre du portrait. Je ne peux qu’inviter vos lecteurs à lire dans les yeux des portraits la profondeur du savoir de celle qui nous a aussi laissé de très beaux écrits que je recommande à tous. La pudeur des toiles est merveilleusement mise en scène dans notre Grand Palais. P.L.
Merci monsieur, cette exposition est en effet un enchantement.
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