Heureusement qu’à côté de certains médias désormais placés en en soins intensifs, apparaissent depuis quelques années des choses toutes fraîches comme « Rue 89 », « Brief me » et tout récemment, depuis le mois de septembre, « The conversation ». Parti d’Australie, ce dernier concept visant à donner la parole à des experts via une stimulation journalistique, n’a probablement pas fini de grandir. A peine le site français vient de quitter les fonts baptismaux que son animateur, Fabrice Rousselot, se voit chargé d’un développement universel.
Après avoir longtemps roulé sa bosse pour Libération, Fabrice Rousselot a été séduit par cette idée de donner la parole à des experts qu’on entend moins ou jamais sur les médias traditionnels, notamment en marge de l’information distribuée sur les ondes à la sulfateuse. D’autre part, à la télé comme à la radio, les experts invités à s’exprimer sur les grands sujets sont très souvent les mêmes, qui disposent pourrait-on dire, de leur rond de serviette dans les émissions de débat programmées depuis plusieurs années.
Provisoirement installée dans une salle de classe du Centre de recherches interdisciplinaires, dans le quatrième arrondissement, l’équipe devrait rejoindre le 26e étage de la tour Montparnasse à la fin de l’année. La journée de la rédaction de « The conversation France » débute comme dans n’importe quel média avec une conférence destinée à mettre à plat l’actualité en cours. Mais la comparaison s’arrête là car la ligne de front des journalistes a en effet été déplacée. Dans un journal classique, à la suite de cette conférence matinale, chacun part à la recherche des éléments qui aboutiront au final, à un article, un reportage, une analyse, un portrait, un récit, un commentaire.
Cette fois, le journaliste est situé bien plus en amont et son rôle n’est pas d’apparaître. Il est même de s’effacer, alors que son ADN est généralement considéré comme égotique. De même que dans « Courrier International » le journaliste est invisible puisque sa tâche consiste à sélectionner les meilleurs articles des journaux du monde entier, dans « The conversation », une fois la conférence bouclée, il s’attache à repérer l’expert qui saura apporter une valeur ajoutée sur la crise climatique, l’économie grecque ou encore la face cachée du web. L’ex-plumitif signant de son nom, lui-même connaisseur de son domaine, s’intercale dorénavant entre l’expert et le lecteur, en faisant en sorte que l’article qui sera publié délivre une substance « accessible » à tous.
Ce nouveau modèle d’information dispose en outre d’un atout précieux reposant sur son mécanisme financier. A l’heure où l’on s’interroge sur la valeur de l’information, sa monétisation précaire, le financement de « The conversation » s’appuie sur des grands donateurs tel que Carnegie, le fonds Soros, l’aide gouvernementale ou des subsides universitaires. Obligé à l’équilibre mais délivré de la contrainte de rentabilité d’un média ordinaire, le concept peut donner vie à l’idée centrale visant à identifier et diffuser le plus largement possible, le savoir. Chaque article a ainsi la possibilité d’être copié-collé ailleurs.
Solidement accompagné, notamment de Didier Pourquery pour la direction de la rédaction, Fabrice Rousselot s’est donc vu assigner la lourde tâche de décliner le modèle sur d’autres continents, d’abord via des structures légères qu’il dénomme « satellites » avant de devenir des « hubs » puis des socles. Le tout s’appuie sur un backoffice unique de l’Australie en Angleterre et jusqu’en France. Il en découle une capacité de diffusion extraordinaire à travers un maillage bientôt universel. Chaque auteur a la possibilité de vérifier le succès ou l’insuccès de son texte. Ainsi sur un seul samedi, le signataire d’un article lié à l’assassinat du directeur des antiquités de Palmyre a pu se satisfaire d’un score de plus de huit cent mille lecteurs. Plus aucun média « papier », en France, ne pourrait s’aligner.
Pour Fabrice Rousselot, la gratification est triple, d’abord pour le lecteur, ensuite pour l’auteur et enfin pour le journaliste qui détient la clé de la combinaison. Il fallait l’inventer.
PHB