Un certain nombre d’habitués traversent l’un des grands jardins que compte Paris sans rien voir. L’esprit miné par une augmentation qui ne vient pas, l’information des journaux télévisés qui détruit les neurones ou la névrose climatique qui s’aggrave, ils sont étanches à la beauté des lieux, leur réceptivité est en berne. Ils semblent traverser un décor inerte, muet et inodore, alors que les pompes d’arrosage ravivent les couleurs de l’herbe et des fleurs et que le gazon restitue avec vigueur le parfum de la terre mouillée.
Eux forment un couple de citoyens libanais. Là où ils vivent, il y a beaucoup d’argent mais peu de trottoirs, peu de transports en commun, pas de jardins et l’accès à la mer est privatisé à deux cents dollars la journée pour une famille de quatre. Deux cents dollars c’est aussi la somme qu’ils doivent acquitter pour acheter à intervalles réguliers les cinq mètres cubes d’eau nécessaires à leur jardin et cela alors que le pays est aussi riche de ses rivières mais victime d’un gouvernement incapable de distribuer le nécessaire à ses citoyens ou de gérer les déchets (1).
Ce jour-là, après avoir effectué une partie de l’itinéraire classique d’un touriste à Paris (Tour Eiffel, Arc de triomphe etc…), un ami parisien leur avait proposé la visite de deux jardins, celui du Luxembourg et du Jardin des plantes. En cet été 2015, ces deux endroits partiellement soulagés des Parisiens en vacances, de leurs joggeurs distingués et processionnaires, ces deux espaces « verts » étaient comme des lieux de paix. Le bruissement de l’eau sortie des jets automatiques, les parterres de fleurs, toutes les variétés d’arbres, le potager et ses collections d’arbres fruitiers, les ruches, tout cela faisait un bel ensemble, le Luxembourg était en fête.
Quelques instants plus tard au milieu du Jardin des plantes, sous un ciel pourtant grimaçant, cette alchimie tranquille qui fait les délices des amateurs de squares parisiens, rééditait l’exploit du Luxembourg avec quelques variantes propres au lieu, dont les serres à taille de cathédrale gothique, son zoo familial ou ses aîtres spécifiquement botaniques.
Non pas blasé sur ce type d’agrément mais simplement habitué à en profiter, l’ami suggéra au couple de quitter l’endroit pour rejoindre les quais de Seine. Mais il se fit gentiment arrêter du bras par le mari qui le pria de rester encore car selon lui « ici », c’était « le paradis ».
Grâce lui soit rendue de l’avoir fait remarquer. Et d’avoir aussi souligné qu’ici il se sentait tranquille, en sécurité, au contraire de chez lui, antichambre de multiples guerres, où il ne fermait jamais l’œil tant que ses enfants n’étaient pas rentrés.
Vivre en paix, profiter de l’ombre savamment organisée des jardins parisiens, voilà un luxe dont on a perdu le sens à domicile au point d’aller le chercher ailleurs comme s’il n’était pas à nos pieds. Il fallait bien l’œil d’un Libanais pour réveiller celui d’un guide parisien en état d’hébétude imbécile. Paris dénombre 400 parcs et jardins, cela en fait des occasions d’être heureux.
PHB
(1) Durant la crise des déchets, certains maires, notamment celui de Hadath, dans la banlieue de Beyrouth, ont fini par prendre l’initiative afin de soulager leurs concitoyens.
Très bel article, beau rappel.
Merci du rappel. S.
Grâce soit rendue aux aîtres pour ces quelques heures d’évasion !
La pensée n’a plus d’attaches, et se joue des lois de la pesante-heure.
Suspendue aux particules de l’air ambiant elle s’offre un plan d’évasion,
traverse la grisaille de l’actualité, distribuant impunément ses couleurs vives aux passants.
Les parcs parisiens ont sortis leurs habits d’automne,
le parfum enivrant des feuilles sur les grands platanes a vaincu la monotonie,
il accompagne la pensée vagabonde, s’estompe délicatement avant de tirer sa révérence au dernier soir de l’été……
Aître où ne pas Hêtre…..