Le propre d’un pneu qui déjante est de sortir de son cadre. Et c’est bien pour cela que le qualificatif déjanté colle si bien, sans l’injurier, à l’un des maîtres du lâcher-tout comme Basquiat. Aux cimaises du musée Paul Valéry à Sète, figurent aussi jusqu’au 15 novembre, outre Basquiat ou Keith Haring, d’autres signatures d’œuvres étonnantes, pleines de vie dézinguée, d’artistes du même credo artistique que leurs homologues américains mais partageant, en revanche des racines sétoises.
Tout casser, s’affranchir de tous les codes ou se les approprier en d’audacieux mélanges, participe de cette longue chaîne de l’expression artistique en perpétuelle émancipation qui vit défiler tant de genres, de l’impressionnisme au cubisme, du minimalisme à l’hyperréalisme, en passant par toutes sortes d’outsiders comme Duchamp et ses ready-made.
L’idée selon Robert Combas, l’un des Sétois exposés, était de proposer une peinture, « rigolote, libre et décontractée », propos qui met tout de suite à l’aise. Ce que fait Combas n’est pas sans rappeler les couvertures de disques d’une certaine époque psychédélique où l’on voyait s’entremêler les idées folles, emmenés par des personnages hallucinés au propre comme au figuré. Comme l’ont écrit quelques uns, les drogues ouvraient les champs de conscience et il y a fort à parier que les artistes exposés à Sète ont connu ce type d’initiation sauf à être tombés dans la marmite d’acide lysergique lorsqu’ils étaient petits, car cela s’est déjà vu.
Sans présumer de ce qu’il avait pu absorber ce jour-là, on imagine bien l’américain Kenny Sharf (né en 1958) méditer si longtemps devant le meuble supportant un téléviseur et un magnétoscope, qu’il a fini par peindre le tout de haut en bas et même y fixer toutes sortes d’objets trouvés. C’est le genre d’idées et de passages à l’acte qui peuvent venir et se déclencher après des heures ou des jours d’ennui sans compter on l’a dit, l’ingestion de choses pouvant dilater le temps tout en évanouissant les inhibitions.
Au sein de ce musée Paul Valéry si bien conçu et justement réputé pour la qualité de ses expositions, nous sommes ici face un accrochage d’un genre que l’on peut qualifier de majeur, défriché un jour lointain par Jérôme Bosch (1450-1516) et génialement remis au goût du jour par ces gens comme Robert Combas, Rémi Blanchard ou encore Richard di Rosa. On jubile, on s’étonne et on s’interloque, tellement ils savent puiser là où bon leur semble. Et même on les admire parfois lorsqu’ils semblent céder à une esthétique aussi pure que troublante.
Les Sétois ont bien de la chance de disposer d’un si beau musée surplombant la mer. Le bâtiment comporte également des salles de collections permanentes et un fonds Paul Valéry qui permet de renouer avec les réalités d’un monde plus cadré… Mais il est fortement recommandé de ne pas rater cette « figuration libre » qui permet à peu de frais et sans mettre son métabolisme en danger, d’aller se balader dans ces périmètres tout autant colorés que dévoyés où tous les codes sont passés au mixer, ou chaque feu rouge est fait pour être grillé.
PHB
La Figuration libre. Historique d’une aventure. Musée Paul Valéry, 148 rue François Desnoyer. 34200 Sète. Jusqu’au 15 novembre.
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