Au tout début du mois de septembre 1915, le jeudi 2, Guillaume Apollinaire note dans une lettre à Madeleine, que les mouches se raréfient enfin. Mais le 3, à son « aimée tant chérie », il lui adresse un petit groupe de poèmes recopié à partir d’un livret unique, « Le médaillon toujours fermé », destiné de prime abord à Marie Laurencin deux mois plus tôt. Il en recopiera de nouveau le contenu pour Louise Coligny la fameuse « Lou ».
A la guerre, l’artilleur Apollinaire compose avec tout ce qui lui tombe sous la main lorsque le papier manque, ce peut-être une écorce de bouleau, une boîte pour le savon, le métal des obus ou encore des feuilles de journaux ce qui est le cas pour ce recueil de huit pages, « Le médaillon toujours fermé » qu’on retrouvera plus tard inclus dans Calligrammes.
Il y a eu beaucoup d’erreurs d’interprétations sur l’activité artistique de l’écrivain à la guerre. Là-bas, Il était convenu d’avoir peur et certainement que celui qui a écrit « Ah Dieu ! que la guerre est jolie »(L’Adieu du cavalier ) a eu peur comme tout le monde (1) mais par sa créativité il montrait qu’il n’entendait pas s’en laisser conter et qu’il était possible de modifier à la marge les règles du jeu. Certains jouaient justement aux cartes pour tromper l’ennui de l’attente et l’angoisse des assauts, lui écrivait des poèmes, des lettres d’amour et confectionnait des livrets. Ce n’était certes pas une raison, comme l’a écrit Laurence Campa dans une récente biographie, pour qu’Aragon accuse Apollinaire de s’être laissé « dérouter par les événements » ou de donner « dans l’envers du décor » (André Breton). Selon le peintre André Masson qui était revenu vivant des tranchées en ayant rapporté que parfois il y avait « des choses rudement belles à voir« , l’auteur d’Alcools avait surtout fait « l’apologie de la vie« . A son ami Jean Mollet, Apollinaire écrivit en 1915, « il faut surtout être gai, sinon tout est foutu ». Et il l’est pour lui-même mais aussi pour ses compagnons de tranchées.
Ce médaillon « toujours fermé » est une œuvre bien rare d’autant que les trois déclinaisons ont des contenus et des présentations différentes. Madeleine aura droit à une version comprenant sept textes (La grâce exilée, Les feux du bivouac, La boucle retrouvée, Refus de la colombe, Tourbillon de mouches, Les Grenadines repentantes) et le fameux « L’Adieu du cavalier », extraordinaire de musicalité, de fluidité et d’émotion.
L’un des poèmes du recueil, « Les grenadines repentantes » est inspiré par un dessin que lui a fait parvenir Marie Laurencin depuis l’Espagne et qui représente deux femmes espagnoles à leur fenêtre sous le titre « La semaine sainte à Grenade ». Cette œuvre inspire Apollinaire qui y mêle en huit lignes quelques messages cryptés pour celle qui l’a quitté.
« En est-il donc deux dans Grenade/Qui pleurent sur ton seul péché ?/Ici l’on jette la grenade/Qui se change en un œuf coché
Puisqu’il en naît des coqs Infante/Entends-les chanter leurs dédains/Et que la grenade est touchante/Dans nos effroyables jardins. »
Rare, le médaillon « toujours fermé » fascine puisqu’il contient la guerre dans sa substance distillée comme un alcool et pas moins de trois relations amoureuses. Un riche chanceux a emporté le seul exemplaire relié et dédicacé à Marie Laurencin) l’année dernière chez Sotheby’s à Paris, pour près de cent mille euros. Alors qu’Apollinaire a toujours vécu dans la gêne, ses productions vendues à l’encan ont toujours autant de succès.
PHB
A lire: La biographie d’Apollinaire de Laurence Campa (Gallimard), « La grande guerre d’Apollinaire, un poète combattant » par Annette Becker éditions Texto, « Calligrammes dans tous ses états » de Claude Debon qui contient le contenu du médaillon (Calliopées 2008) et pour le contexte, « Apollinaire et la guerre », la Revue des lettres modernes (numéros 380-384) textes réunis par Michel Décaudin (1973).
(1) Et si je mourais là-bas…
Si je mourais là-bas sur le front de l’armée
Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée
Et puis mon souvenir s’éteindrait comme meurt
Un obus éclatant sur le front de l’armée
Un bel obus semblable aux mimosas en fleur
Et puis ce souvenir éclaté dans l’espace
Couvrirait de mon sang le monde tout entier
La mer les monts les vals et l’étoile qui passe
Les soleils merveilleux mûrissant dans l’espace
Comme font les fruits d’or autour de Baratier
Souvenir oublié vivant dans toutes choses
Je rougirais le bout de tes jolis seins roses
Je rougirais ta bouche et tes cheveux sanglants
Tu ne vieillirais point toutes ces belles choses
Rajeuniraient toujours pour leurs destins galants
Le fatal giclement de mon sang sur le monde
Donnerait au soleil plus de vive clarté
Aux fleurs plus de couleur plus de vitesse à l’onde
Un amour inouï descendrait sur le monde
L’amant serait plus fort dans ton corps écarté
Lou si je meurs là-bas souvenir qu’on oublie
— Souviens-t’en quelquefois aux instants de folie
De jeunesse et d’amour et d’éclatante ardeur —
Mon sang c’est la fontaine ardente du bonheur
Et sois la plus heureuse étant la plus jolie
Ô mon unique amour et ma grande folie
Distillation intemporelle où se bousculent espoir et désespoir,
L’alcool monte à la tête les lettres informes laissent un cœur à nu…
« Vienne la nuit sonne l’heure ….Les jours s’en vont …..je demeure »…..
J’ai écrit pour ma part un récit intitulé « L’année d’Apollinaire » qui débute le 2 janvier 1915 dans l’express Nice-Marseille et s’achève sur les quais du port d’Oran douze mois plus tard. Il relate la vie du poète sur le front de l’amour (entre Lou et Madeleine) et celui de Champagne.
Si un lecteur des « Soirées de Paris » connaît un éditeur qui pourrait être intéressé, merci de bien vouloir prendre contact avec moi (jacques.ibanes@orange.fr).
Cher Philippe Bonnet,
Sur le conseil de Laurence Campa, je me permets de vous joindre ainsi, n’ayant pas obtenu l’adresse exacte de votre courriel.
Car actuellement tous les mardis jusqu’au 22 décembre 2015 inclus à 19h, nous présentons au théâtre Darius Milhaud (M° porte de Pantin) un voyage chronologique avec quelques lettres et poèmes d’Apollinaire à partir de sa rencontre avec Lou.
Nous serions très touchés par votre venue.
Bien à vous
Ch. Sterne