C’est une histoire, celle d’un môme qui rêvait tellement fort ses dessins qu’il était persuadé qu’un jour il leur donnerait vie. Mais, la vraie vie reste compliquée, même celle d’un Petit Prince. « Hé, le môme comment tu t’appelles ? » « Andreï V », me répond-il.
Moi, je le connaissais sous un autre prénom. Mais Andreï V n’est pas mal non plus, ni faux d’ailleurs.
Une bonne fée l’a sauvé d’un orphelinat russe aux mille et un drôles qui sentaient la pisse dans leurs habits trop grands ou trop petits pour eux. Il avait trois ans et il ne savait pas que son ange gardien venait de troquer un passeport pour les égouts de Moscou contre un passeport, un vrai, un passeport pour dames également.
Il devait avoir 11 ans quand nous nous sommes croisés pour la première fois. C’était autour d’une table d’un petit déjeuner. A l’époque, il m’avait montré ses crayonnés de mode, des robes avec amples détails. Sûr que discuter mode au réveil avec un gamin en pyjama ça crée des liens.
Sa mère me racontera qu’à l’âge de six ans, Andreï savait, au jugé, donner leur taille aux femmes. Il était même capable de différencier un 95 B d’un 85 A. Aujourd’hui, il a dix-huit ans, et je le revoie épisodiquement au gré de mes retrouvailles avec sa mère. A douze ans il est accepté, une formation post-bac d’un mois à temps complet à l’Ecole supérieure de dessins de stylisme de mode, Fleuri-Delaporte. Un jour sa mère m’a demandé d’aller le conduire, c’était vers Montparnasse. Alors que nous approchions, il m’a demandé de le laisser filer, je l’ai lâché une rue avant. Il n’aimait pas que les autres élèves le voient être accompagné par un adulte, il n’avait pas vingt ans, mais ce n’était pas une raison.
Cette année, l’ambiance est électrique. Il y en a partout, des robes imparfaites en attente du dernier coup d’œil des broderies qui ne brillent pas encore de tous leurs feux, des tissus frémissant à l’approche du ciseau. Andreï veut voler la préséance à Denis avec un sacré projet, présenter sa collection automne-hiver 2015. Deux ou trois personnes travaillent avec Andrei. Déjà, l’année dernière, il avait présenté une collection, mais au nom d’une boutique. Cela s’était terminé toutes griffes sorties. Le reste on s’en fiche, il n’y a pas que le métier qui s’apprend, la vie aussi. De cette période on en gardera que le meilleur.
En octobre 2014 à 17 ans, il aura créé son premier défilé sur le thème du harem, 25 créations qu’il réalisera en 2 mois (voir la vidéo). Mais il ne s’arrête pas là le môme, il devient alors couturier Haute Couture chez Alexis Mabille. Cette année, ce n’est pas pareil, il largue tout. Il crée, pique, bref c’est lui le boss et les dizaines et dizaines de mètres de tissus qui se déroulent devant ses pas, tapis multicolore qui risque de devenir chiffon de papier si la fortune s’en venait à manquer. Andreï a lancé une souscription, genre, si, au-delà de la date limite dans six jours le chiffre de la souscription (voir le lien ci-dessous) n’est pas atteint chacun récupérera sa mise. La vie reste compliqué, même celle d’un Petit Prince. Mais je me répète.
Bruno Sillard