A l’automne 2014, il a annoncé vouloir arrêter sa ligne de prêt-à-porter pour ne plus se consacrer qu’à la haute couture et à ses parfums. Paradoxe, Jean Paul Gaultier s’est précisément fait connaître en tournant le dos à la haute couture, car pour lui « depuis la fin des années 1970, ça n’était plus le lieu où ça bougeait ». Il est l’un de la bande des quatre « créateurs » des années 1980 (avec Thierry Mugler, Claude Montana et Azzedine Alaïa), seuls couturiers véritablement novateurs de l’époque.
En renonçant au prêt-à-porter qui a fait sa renommée, Gaultier confie désormais à sa ligne haute couture, créée en 1997, le rôle de porter seule l’avenir de sa maison.
La mode n’a pas été épargnée par la marchandisation du monde. Les acteurs (les grands groupes industriels, les marques) déclinent leur logo et leur univers en autant de produits dérivés… Gaultier a été touché par ce changement d’époque. Il trouve la mode « conformiste, chiante » et considère que « Tout ce pour quoi on s’est battus dans les années 1970-1980 a disparu ». Sa marque ne lui appartient plus en totalité. Il prétend néanmoins créer ce qu’il veut (on peut le croire sur parole) : « Si ma marque existait sans moi, il faudrait que ce soit totalement sans moi. »
Aujourd’hui, plus de quarante ans après ses débuts, l’enfant terrible de la mode fait l’objet d’une grande rétrospective qui voyage à travers le monde, de Montréal à Londres en passant par Berlin. Elle s’est arrêtée au Grand Palais, à Paris, jusqu’au 3 août.
Fidèle à ce dont nous a habitué le personnage, l’exposition est un show en couleurs, sons et lumières. Un plateau de télévision monumental installé sur deux niveaux des galeries nationales. Si les mannequins ne sont pas de chair et d’os, ils défilent sur un « podium roulant » (un peu comme le font vos valises à l’aéroport), tandis qu’une voix off décrit les tenues qui sont présentées. Le public n’a pas été oublié dans le spectacle : les clientes, les stars et les journalistes, comme dans un vrai défilé, sont installés près du podium. Tout ce beau monde porte naturellement du Jean Paul Gaultier, l’objectif étant de présenter les créations du couturier puisées dans ses collections de 1970 à 2015. La grande majorité des pièces n’a jamais été exposée. Et il y en a beaucoup…
Pour rappel, les débuts de Gaultier tiennent de la « success story » : alors qu’il dessine des vêtements depuis l’adolescence, une voisine, illustratrice au « Petit Echo de la mode », montre ses dessins chez Dior, qui ne manifeste pas d’intérêt. Sur les conseils de sa bonne fée, il adresse quand même ses dessins à tous les couturiers. Le jour de ses dix-huit ans, Pierre Cardin l’appelle pour l’embaucher comme assistant. Il était encore au lycée et n’aura pas le temps de faire une école de mode. Il travaillera par la suite chez Jean Patou, commençant donc dans le métier par la haute couture… On y revient. Très vite, en 1976, il présente sa première collection personnelle au Palais de la Découverte à Paris. C’est un échec total. Mais la suite on la connaît…
Les marottes de Gaultier, nous les connaissons aussi : la marinière, qu’il porte à la Picasso ; le corset lacé (toujours) : cette « machinerie saumon, baleinée, aux lacets orthopédiques fascinants » ; les seins coniques, dont les premiers, en papier journal, ont été apposés sur son ours en peluche « Nana ». Les trois sont devenus autant des icônes de la mode que des références immédiates à Jean Paul Gaultier. L’histoire de ces icônes gaultiesques nous est racontée dans l’exposition. Mais pas seulement. On retrouve aussi les multiples univers du créateur de mode, concentriques, souvent revisités : les codes vestimentaires du mouvement punk, le cosmopolitisme urbain, la nudité et le corps féminin ou masculin…
Gaultier est l’un des rares couturiers à avoir fait défiler la communauté humaine – toute la communauté humaine –, sur ses podiums. Jeunes ou vieilles, grandes ou petites, maigres ou grosses, belles ou moches… cette énumération est aussi valable au masculin. Il a eu recours à des mannequins androgynes ou transgenres, bien avant que Conchita Wurst gagne l’Eurovision. Il a habillé Madonna et Rossy de Palma, Josiane Balasko et Catherine Deneuve… et bien d’autres moins célèbres.
Le premier cinéaste à avoir pensé à Gaultier pour les costumes de ses films est Peter Greenaway pour « Le Cuisinier, le voleur, sa femme et son amant » (1989). Puis il y a eu Marc Caro et Jean-Pierre Jeunet pour « La Cité des enfants perdus » (1993), Luc Besson pour « Le Cinquième élément » (1997) et surtout Almodóvar (« Kika », « La Mauvaise éducation »)…
Gaultier rassemble tout ce qui lui plaît, le mixe, en transgresse les codes, puis synthétise le tout en un seul vêtement. Il dit aimer « inverser les signes » mais uniquement pour coller à l’évolution de la société. S’il a mis des jupes aux hommes et que ceux-ci n’en portent toujours pas, il a aussi placé des poches intérieures – apanage des costumes masculins pour pouvoir payer – dans des vestes pour femmes. Merci ! Dommage qu’il n’a pas du tout été suivi par l’industrie vestimentaire.
Il est dérangeant, il gratte, il agace, mais le résultat est là et c’est un grand professionnel que le Grand Palais expose. Une forme de reconnaissance de ce que la mode et nos vestiaires lui doivent.
Valérie Maillard
« Jean Paul Gaultier », jusqu’au 3 août. Galeries nationales du Grand Palais. 3, avenue du Général Eisenhower, 75008 Paris. Toutes les photos suivantes sont de Valérie Maillard (Cliquer pour passer d’une image à l’autre).
Passionnant, j’adore ce genre de papier où l’on se sent plus intelligent (ou cultivé) après l’avoir lu.
Beau défilé à savourer depuis son fauteuil. Merci Valérie !
Merci de cet article rafraîchissant par ces temps de canicule !
Juste une précision : la bande des « quatre créateurs » des années 1980 était composé en fait de cinq : il manque à votre énumération Kenzo, celui de la grande période créatrice et féconde. Ces cinq là étaient copains comme les doigts de la main et ce n’est pas étonnant.
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