En ce temps-là les vaches qui broutaient sur la butte Bergeyre fournissaient notamment en lait la fabrique de cantal qui se tenait au 38 rue des Chaufourniers Paris XIXe. Elles étaient l’avant-poste rural d’une campagne qui s’éloignait de Paris et tentaient en ce sens de maintenir un lien séculaire entre personnes des villes et des champs. On peut les voir sur une photo, à deux pas des Buttes-Chaumont, dans le petit livre consacré à la mémoire des rues (1).
De nos jours les brebis d’Ouessant qui tondent les pelouses des belles avenues du septième arrondissement ou encore la « lande » des archives municipales boulevard d’Algérie, de même que les nouvelles poules du jardin de l’Hôtel de ville, tout ce monde ne bêle ni ne glousse pour le seul plaisir de s’affirmer dans leur simple existence de faune. Ces bêtes-là ont un message politique plus ou moins subtil à délivrer. Ce sont des emblèmes.
Dans les années 1900, la carte postale, la photo de rue étaient choses courantes et cela nous permet actuellement d’avoir une idée précise de la vie de nos aïeux proches mais aussi des transformations urbaines qui ont bouleversé cet est parisien issu des grandes annexions. A cette époque où l’on n’utilisait pas le paravent à tout faire de la démocratie participative, on pouvait se permettre de raser des quartiers entiers selon la bonne école haussmannienne, phénomène qui devait durer jusque dans les années soixante dix.
Cela valait notamment pour l’est parisien où il était convenu de loger les familles modestes et, singulièrement d’y construire les usines, afin que leurs flux polluants n’allassent pas, sous les vents dominants, altérer à l’ouest les poumons de la bonne bourgeoisie. C’est un fait vérifié.
Ce livre revisite le 19e arrondissement avec l’avantage de l’enquête historique. Si l’on considère la très modeste rue de Nantes dans son état actuel, cela nous interpelle de savoir qu’elle était l’axe principal de l’ancien village de la Villette. Lorsque l’on creusa à proximité, vers 1807, ce qui devait devenir le canal de l’Ourcq, on y découvrit les restes d’une civilisation gallo-romaine avec un petit trésor monétaire qu’un habitant avait cru bon de cacher en l’an 310. D’ailleurs, l’actuelle avenue de Flandres n’est autre qu’une section de l’ancienne voie romaine qui reliait Lutèce à Senlis ce qui change un peu, fort de cet avertissement, la résonance de nos pas d’ordinaire étourdis.
En feuilletant les pages nous pouvons découvrir ébahis ce qu’était à ses tous débuts l’extraordinairement bien dessiné parc de la Butte du Chapeau Rouge, en lisière du boulevard extérieur. Une autre image nous montre l’ex-place du Danube (devenue Rhin et Danube) où l’hôpital Herold offrait une assistance bienvenue autant que bucolique aux habitants du quartier. L’ouvrage permet également de se figurer l’actuelle place des Fêtes dans son état d’origine avec ses multiples commerçants adjacents. Trop typée années soixante dix et donc politiquement incorrecte, la place des Fêtes finalement bien assimilée par ses habitants actuels, est sous le coup d’un projet de rénovation urbaine plus conforme aux normes à la mode.
Cette collection de la « Mémoire des rues » nous cultive notamment grâce aux cartes postales qui l’illustrent. La vie telle qu’on la voit nous paraît très lointaine bien qu’elle puisse être toujours commentée par des (vieux) témoins vivants. L’histoire va de pair avec une désagrégation constante du décor faisant en quelque sorte de Paris une scène théâtrale permanente.
PHB
(1) Mémoire des rues. Paris 19e arrondissement. Editions Parigramme. 9,90 euros