Parce que le scénario des « Arnaqueurs » prévoyait qu’elle fasse pipi sur elle, Anjelica Huston a failli ne pas accepter ce qui devait sans doute être son meilleur rôle. Le film de Stephen Frears (The grifters, en anglais), sorti en 1990, la mettait en scène dans le rôle d’une mère arnaqueuse entretenant des liens troubles avec son fils (John Kusac) lui-même voleur. Dans sa double autobiographie qui vient d’être réunie en un seul volume aux éditions de l’Olivier, elle raconte comment elle a fini par obtempérer…
… à l’injonction d’une certaine Sue Mengers qui (en la toisant) lui a déclaré « Anjelica, si Stephen Frears te demande d’aller chier dans un coin, il faut le faire ». Finalement, la fille du célèbre réalisateur John Huston a fini par admettre qu’elle n’avait jamais pris « autant de bonheur » pour un rôle dans ce film qui lui a valu un oscar de la meilleure actrice.
Il y a des gens pour dire que leur vie ne présente pas suffisamment d’intérêt pour faire un livre. Ce n’est certes pas le cas d’Anjelica Huston qui nous en raconte l’intégralité depuis sa naissance en 1951 au Cedars of Lebanon Hospital de Los Angeles jusqu’à nos jours.
Cette cavalière émérite qui n’a pas, sur les terres irlandaises de son enfance, appris à se dérober devant l’obstacle, (« ils doivent être franchis avec coeur »), n’a pu faire autrement que de mettre son père en évidence dans la narration de sa petite enfance. Jouisseur, autoritaire, n’aimant s’entourer que de belles choses, ne supportant pas la lâcheté ou la médiocrité, John Huston avait réservé pour l’épanouissement de sa famille une gigantesque propriété irlandaise au sein de laquelle tout le monde était prié de chasser à cheval. Sa fille démarre ainsi une vie fastueuse, extravagante souvent, où elle croise déjà moult gens célèbres.
Anjelica Huston évoque beaucoup les autres, d’où le titre « Suivez mon regard », ce qui contribue à équilibrer une autobiographie en forme de bottin mondain. Cela en fait un ouvrage intéressant à titre documentaire quoiqu’il soit possible au fil de cette copieuse pagination d’en ressentir une certaine lassitude parce qu’assez éloignée des lecteurs au train de vie plus sobre que nous sommes en majorité.
Mais paradoxalement, son livre nous fait découvrir les aspects ordinaires de gens qui ne le sont pas comme Jack Nicholson qui fut son compagnon et, bien plus encore lorsqu’ils sont confrontés à la douleur ou à la mort ce qui est notre lot commun. Par delà les voitures et hôtels de luxe, la consommation effrénée d’alcool, d’herbe ou de cocaïne, il faut quand même se lever le matin et affronter la vie.
Anjelica Huston transparaît au fil des pages comme un personnage sensible et plein de tempérament et assez peu conformiste mais ce n’est pas sans nous étonner vu sa filiation hors normes. Il lui arrive de déplorer d’être prise en chasse par les photographes alors que, rappelle-t-elle dans une drôle de comparaison, le premier ministre anglais Tony Blair avait interdit, en 2000, la chasse au renard.
Lorsqu’elle s’apprête à perdre son père elle raconte une scène étonnante où l’excellent Robert Mitchum est convoqué au chevet du cinéaste à l’hôpital. Il convainc une infirmière de stationner en permanence devant le lit de John Huston en relevant un peu sa jupe et la nurse accepte de « jouer le jeu de ces deux vieux schnocks ». C’est un de ces moments tragiques mais distrayants que nous offre l’actrice dans son livre.
Son père et son dernier mari disparus elle en décèlera néanmoins la présence post-mortem à des signes divers ce qui lui confirmera récemment une voyante avisée.
Quant à sa mère, décédée beaucoup plus tôt à l’âge de 39 ans, elle en a récupéré récemment un poème écrit en 1938 (à neuf ans) et qui disait : « Le cèdre est très fort/il balance et ondoie dans le vent/et quand le vent se met à mugir/je repense à l’oiseau à l’aile brisée/qui trouva l’abri que le cèdre était ». Pas mal.
On la suit à travers ses films, mais aussi en France, en Italie, en Allemagne à New York ou en Californie avec toujours des noms de célébrités qui finissent par nous dire autre chose que l’impression qu’ils nous font à travers leurs œuvres. Sur sa vie propre, le procédé comme le résultat sont les mêmes. Tout un style, estampillé de la marque Huston.
PHB
Anjelica Huston. « Suivez mon regard ». Editions de l’Olivier. 23,5 euros.