Un thème d’avant notre ère, un site monarchique, un livret datant de 1738, une mise en scène des plus contemporaines : Versailles emprunte à toutes les époques pour faire d’un opéra peu connu un spectacle réjouissant.
« Xerxès » (Serse) avait pourtant de quoi laisser le spectateur dubitatif, qui connaît davantage les batailles légendaires du père (Darius) que le canal perdu du fils*. L’offensive des Perses contre les Grecs ne date pas d’hier mais ces guerres médiques ne sont que lointain prétexte au thème de l’opéra baroque. Haendel y chante les amours vaudevillesques de son héros en une composition qui mélange les genres avec une surprenante modernité que renforcent ici la scénographie, le décor, les costumes et l’orchestration.
Le spectacle d’emblée surprend. Faisant fi de l’étiquette en ce lieu pourtant monarchique, une partie de l’orchestre intègre – en jouant – la fosse, traversant la scène depuis les coulisses. Clavecin, hautbois et contrebasses sont déjà sur place quand une vingtaine de violonistes prennent place à leur côté. Un prologue novateur qui conquiert le public. Il n’aura pas fini de s’étonner.
La bâche bleue, plutôt qu’un rideau rouge, se soulève alors pour découvrir le plateau scénique. Un décor minimaliste mais pas banal pour autant. Le sol est fait d’un assemblage de palettes de bois couleur champ de blé après la récolte d’où l’on perçoit encore la trace des sillons. On se croirait dans L’Angélus de Millet si ces supports rustiques mais sonores ne transformaient les pas des chanteurs en claquettes. Ce qui à l‘évidence nuit au recueillement. Et s’il n’y avait aussi ce platane miteux, dépouillé de ses véritables attraits qui pointe sa cime. Un arbre dont le roi de Perse s’était, dit-on, si entiché qu’il le couvrait de bijoux et colifichets. Pour vivre heureux, Brassens n’a donc rien inventé.
Un mot des costumes, qu’on croirait tous droits sortis d’une friperie. Ou d’un univers à la Enki Bilal. Le costume trois pièces de Xerxès semble avoir été coupé dans une peau de serpent, ce qui sied au tyran despotique. Romilda, la femme qu’il désire et harcèle, arbore de curieux bandeaux un peu nunuches, d’une mode indéterminée. Atalanta, la manipulatrice éhontée, découvre volontiers ses chaussures – et même bien davantage ! – des souliers surmontés d’un gros nœud à la Marie-Antoinette. Déconcertant mais intrigant.
A l’origine, le livret de Stampiglia et Minato confiait le rôle de Xerxès à un castrat, remplacé depuis par un travesti. Ici, l’époustouflante mezzo-soprano suédoise Malena Ernman. Son nuancier vocal démarre du grave pour monter haut, très haut, parfois jusqu’au cri. La cantatrice n’est pas avare de mimiques que la proximité de la scène permet d’apprécier. A l’aise sur les planches, elle vocalise même accroupie et emprunte à Michaël Jackson ses mouvements suggestifs du bassin… Une gestuelle à faire piquer un fard à feu le Roi Soleil ! Avec elle, même le ciel de fond s’en mêle : l’astre de nuit perce les nuages quand elle esquisse la célèbre moon walk. Instants furtifs qui reflètent l’inventivité de la mise en scène.
Chanteurs et chanteuses sont d’excellents comédiens dotés de timbres impressionnants. Atalanta (la suédoise Kerstin Avemo) assortit telle une chipie ses prestations de moues drolatiques, ponctuées de coups de talon rageurs. Le jaloux caractériel qu’est Arsamène (le canadien David DS Lee) fait montre de toupet autant que de souffle quand l’insolent interpelle le Maestro depuis la scène, à l’hilarité du public.
Car c’est une caractéristique de ce jouissif spectacle, nombreux sont les échanges entre instrumentistes et artistes lyriques, ce qu’autorisent les proportions humaines de cet Opéra royal, jadis la plus grande salle de spectacle d’Europe ! Petit par la taille mais grand par l’acoustique, au demeurant meilleure qu’à l’Opéra Bastille.
Jean-Christophe Spinosi dirige de main de maître et sans baguettes une trentaine d’instrumentistes, majoritairement des violons. Il s’amuse d’accentuer le caractère audacieux, irrévérencieux même, de la composition. Composition dont le clavecin apporte sa tonalité religieuse en cette aile qui abrite aussi la chapelle royale. Avec Haendel, Le Messie n’est jamais très loin… Le fougueux maestro paraît monté sur des ressorts. Dire qu’il est « un musicien-chorégraphe doté d’une exaltation physique hors normes » n’a rien d’usurpé. Il démontre sa virtuosité instrumentale en s’emparant d’un violon pour entamer une conversation musicale avec un chanteur. Le public, aux anges, salue l’audace de ce rapt savoureux non inscrit au livret original. Et ce n’est pas fini ! Malmenant l’écrin théâtral récemment restauré, l’enfant terrible de la musique classique fait taper du pied sa formation dans son entier avant d’en faire une chorale. Voilà le livret d’Haendel enrichi de drums et de choristes, du pur régal !
Guillemette de Fos
* Xerxès, fils de Darius Ier, fit cinq siècles avant notre ère percer un canal pour envahir la Grèce. Canal aujourd’hui entièrement comblé, visible seulement par voie aérienne.