Quatre personnages qui ne se sont jamais rencontrés, se retrouvent un soir de 14-Juillet dans un bistrot français de Londres. Trois d’entre eux sont venus chercher quelque chose de la France dans le bar restaurant de Marianne. Un peu de réconfort aussi et l’espoir de vider son sac d’expatrié un soir de fête nationale. Sur scène, le décor – des nappes rouges et blanches à carreaux, des verres ballon disposés sur des tables de bistrot, des fanions tricolores suspendus au plafond… – est franchouillard à souhait. Par conséquent, les protagonistes vont vite le (re)devenir aussi.
Il y a Charles (Philippe Lellouche – qui est aussi le metteur en scène), François (Christian Vadim), Jean-Christophe (David Brécourt) et Marianne (Vanessa Demouy). La troupe de comédiens n’en est pas à son premier jeu collectif (1). Nous sommes en présence d’une bande de copains qui jouent comme ils évolueraient dans la vie : avec naturel et beaucoup de plaisir à être ensemble. Et ils sont tellement à l’aise que leur plaisir devient communicatif. La salle rit franchement, même si dans la « vraie vie » tout le monde ne rit pas de ces choses-là : les propos sexistes, la compétition façon « speed dating » pour séduire une femme, la politique, l’argent, les impôts et la désaffection des Français pour les valeurs (toutes les valeurs)…
Les sujets abordés par le quatuor potache s’enchaînent à la va-vite et sautent du coq à l’âne. Le texte n’est jamais loin des discussions de comptoir. Ce n’est ni prétentieux ni vulgaire, simple et situé dans une ligne médiane entre le théâtre de boulevard et le café-théâtre. On pouvait craindre de s’y ennuyer ferme, mais non. En allant voir « L’Appel de Londres », la seule chose que l’on risque, c’est de rire.
Pourquoi ça marche ? Pourquoi rit-on ? La réponse est donnée au lever du rideau (il n’y en a pas, mais bon…) dans les paroles de la chanson de Michel Fugain :
« On laisse tous un jour
Un peu de notre vie
Sur une table
Dans le fond d’un café
(…)
On laisse tous un jour
Un peu de ses amis
Tous les poètes
Venus se mettre au chaud
Sur la banquette
Dans un coin de bistrot
On dit « Salut ! »
On commande un demi
Et on refait le monde. »
On est prévenus : toute ressemblance avec des personnages ou des situations ne peut pas être fortuite. Peu à peu sur scène, comme dans la vraie vie, les personnages (qui ne se connaissent pas, rappelons-le) vont chercher à savoir à qui ils ont affaire. En commençant, caricature oblige, par décliner leur métier. La suite est tout aussi attendue : on trouve un écrivain sans éditeur, un ex-trader faussement repenti, un avocat idéaliste et vaguement humaniste. Allez, jusque-là ça tient.
Puis, on est un peu déroutés d’entendre les premiers échanges entre les personnages qui parlent, en vrac : du film « Neuf semaines et demi », de la crise économique, des impôts… On n’évite pas le pamphlet anti-américains, et l’on remonte comme ça jusqu’à la Seconde Guerre mondiale et Churchill et De Gaulle… « Ils sont où ces mecs-là, aujourd’hui ? », demande Charles. Là, on se dit que la ficelle est grosse.
On ne nous laisse pas le temps d’y songer davantage et ça continue : « La France ambitionne l’argent, mais rêve d’égalité », clame l’avocat. « Ce qu’une femme aime chez un homme, c’est rarement ce qu’il a voulu lui montrer », glisse Marianne, un peu plus loin. Elle n’est pas écoutée par les trois autres et paraît bien isolée, elle profère pourtant les mêmes « vérités-vraies ». Ce que l’on ignore encore c’est qu’elle nous donne le fil rouge qui nous conduit tout droit vers l’épilogue.
Vanessa Demouy tient ici un rôle peu valorisant. Mais, malgré un jeu un peu froid, elle ne se tire pas si mal de ce rôle-piège. Tout comme Christian Vadim, juste, qui en étirant son personnage jusqu’à la déformation parvient à nous le rendre attachant. Et puis, lorsque les uns ou les autres se trompent de réplique – on croirait à un fait exprès –, les comédiens improvisent et retombent toujours sur leurs pieds. Là, c’est drôle, vraiment.
Vient enfin la question qui compte : « Pourquoi on a quitté la France ? » Ils ont évidemment tous de fausses-bonnes raisons de l’avoir fait. Finalement, après un épisode où il est question de la vente de la Tour Eiffel, la réponse viendra : « J’ai fait quoi, moi, à part démissionner ? »
C’est du théâtre mitonné avec une recette inratable : jouer la proximité avec le spectateur à travers des situations universelles, puis chuter sur un happy end. C’est bien fait et divertissant. On peut y aller pour rire de bon cœur, ou s’abstenir.
Valérie Maillard
« L’Appel de Londres », au théâtre de la Gaité-Montparnasse, actuellement en prolongations. Avec David Brécourt, Vanessa Demouy, Philippe Lellouche et Christian Vadim. Mise en scène de Philippe Lellouche.
(1) Les mêmes comédiens avaient été réunis dans « Boire, fumer et conduire vite », une pièce écrite par Philippe Lellouche en 2009.