Pas âme qui vive. Pas un passant au pas pressé, pas un enfant au ballon, pas même un chien errant. Pas un souffle de vent non plus. Du jardin de l’Archevêché au pied de la Cathédrale Saint-Etienne à la rue Porte Jaune, des marais au Palais Jacques-Coeur, le paysage est invariablement dépouillé, désolé, comme un décor immobile qui sur scène attend les comédiens. Mais ils ne viennent pas. C’est triste à pleurer, tout n’est qu’encre noire. Quelle merveille pourtant, que cette œuvre. Bienvenue devant un dessin de Marcel Bascoulard, dessinateur berrichon disparu en 1978.
Authentique artiste que ce Bascoulard aujourd’hui célébré et recherché. Hier encore, ou pas loin, il errait pourtant dans les rues de Bourges, clochard véritable par négligence, par soin de ne pas chercher les honneurs. « Je consacre le moins de temps possible aux futilités de la vie ordinaire », déclarait ainsi l’artiste au début des années 50 à un chroniqueur du Berry Républicain, comme le note une plaisante et récente biographie richement illustrée *. Certes, la vie de Marcel Bascoulard se prête à l’exercice : il a 19 ans quand sa mère assassine son père, qui l’aurait un peu cherché quand même, avant de vivre dans la misère par choix en arpentant inlassablement les rues berruyères et de mourir lui aussi assassiné. « Ma tenue extérieure témoigne du mépris que je puis nourrir pour la foule vulgaire », ajoutait Bascoulard à l’occasion d’une rare confession publique. Il était là sans y être vraiment, comme une ombre, ses dessins témoignant de son abstraction de toute vie. « Je suis bien obligé de faire de la peinture puisqu’elle est mon gagne-pain. Elle me permet de manger presque tous les jours et d’acheter un peu de lait que je distribue aux chats du quartier. Mes ambitions ne vont pas plus loin ». Tel est Marcel Bascoulard, « clochard magnifique » aux yeux de son biographe.
Dessiner comme Marcel Bascoulard pour « un peu de lait », quelle claque. Et lui tendait l’autre joue. Autodidacte, il avait bien eu l’opportunité de faire carrière (quelle expression vulgaire), en dévoilant son talent au sein du pavillon Berry-Nivernais de l’Exposition Universelle de Paris en 1937. Fi des commandes, Bascoulard retourne à Bourges. Même l’Occupation n’a semble-t-il pas bouleversé sa routine. Le dessin, toujours le dessin, rien que le dessin. Pas d’alcool, pas de sexualité. Sur ce dernier point on ne peut omettre d’évoquer ces nombreuses robes dont il dessinait les patrons et qu’il revêtait pour se présenter dans l’intimité face à l’objectif photographique. Etrange narcissisme, alors même que son attitude publique pendant des décennies prouve qu’il n’est pas là pour plaire.
Il nous plaît pourtant. Comment ne pas s’extasier devant ses dessins. Et que celui qui ne peut attendre la prochaine vente aux enchères rue Fulton ** (où l’ombre de Marcel Bascoulard passe régulièrement), faute de temps ou de ressources financières, soit rassuré. Bascoulard se découvre en ce moment à l’honorable Halle Saint-Pierre, dans le cadre d’une exposition concoctée par l’éditeur les Cahiers Dessinés (à la manœuvre également pour la biographie susmentionnée). Jusqu’au 14 août, plus de 500 dessins de 67 artistes sont visibles en contrebas de la Basilique et face aux mythiques marchands de tissus. L’exposition est foisonnante, donc, et on y plonge avec plaisir, quand bien même certains dessins tiennent de la production d’un enfant de trois ans, maladroit de surcroît.
Ah, l’art moderne ! … La visite réserve de bonnes surprises tout de même. Ainsi de Bruno Schulz, écrivain et dessinateur juif polonais décédé en 1942 dans le ghetto de sa ville de Drohobycz. Bon, ce n’est pas le plus vivifiant. Passons pour cela par les scènes de la vie quotidienne saisies par gravure sur bois par Félix Vallotton, de l’averse au coup de vent, du Bon Marché au bain … Nos contemporains ne déméritent pas. Anne Gorouben avec ses personnages qui sortent flous du brouillard pastel. Le Suisse Noyau de son côté (Yves Nussbaum pour l’été civil helvète), nous régale d’une bonne tranche d’humour avec sa série de gouaches « Faire surface » qui épingle gentiment l’art contemporain. Mais, oh, alors, hein, et Bascoulard alors ?
Marcel Bascoulard est bien là. Grande photo en pied à l’appui. 21 dessins, dont 2 colorés. Les arbres nus des marais et le carrefour de Pignoux sont bien là. Ce dernier n’a en réalité pas tant changé depuis que l’artiste a fini de le croquer, ce 13 février 1958. Et puis surgit la cathédrale, lumineuse en pleine nuit. Chair de poule. Parfait contrepoint à la richesse des pierres et des vitraux de l’édifice huit fois centenaire, comme le met en lumière, au propre comme au figuré, l’ouvrage de François Thomas ***. En noir et blanc, travaillant sur le motif, debout dans les rues pavées de Bourges, Marcel Bascoulard nous offre par la minutie de son dessin un vibrant témoignage de son temps, comme ont souhaité le faire les bâtisseurs de la majestueuse cathédrale. A chacun sa foi. Marcel Bascoulard, lui, dessinait à merveille pour « un peu de lait ».
Byam
Rendez-vous dans les rues de Bourges … et Halle Saint-Pierre
** http://www.darmancier-clair.com
Magnifique !
Ah, Bascoulard … C’était une figure de Bourges jusqu’à sa mort tragique au début de 1978. Les gens de passage dans la ville ouvraient des yeux ronds en le voyant passer vêtu de sa défroque improbable, sur son espèce de vélo-tricycle avec son attirail de peintre dans un cageot …